
samedi, juin 21, 2008
dimanche, avril 06, 2008
Présentation
LA COMMUNAUTÉ VIETNAMIENNE AU CAMBODGE À L'ÉPOQUE DU PROTECTORAT FRANÇAIS (1863-1953)
Khy Phanra
mercredi, mai 10, 2006
Réponses aux questions de Chau Sân II
Perspectives
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RÉPONSES AUX QUESTIONS DE CHAU SÂN II
Cher Chau Sân,
Nous désirons placer nos réponses dans le cadre historique que nous venons de développer et en tenant compte des circonstances qui nous sont imposées. Nous sommes au milieu d'un champ de bataille, un des plus chauds du monde. L'ennemi nous attaque et nous agresse partout dans le monde, au Cambodge et ailleurs. La situation nous oblige à être extrêmement vigilant, à ne jamais baisser la garde et à avoir nos yeux, nos pensées, nos propos et nos armes dirigés, pointés, rivés sur le quartier général de l'ennemi: les dirigeants du PCV et de l'URSS avec leurs objectifs stratégiques et leurs feintes tactiques. Nous faisons tout notre possible pour dévoiler à temps les pièges qui nous tendent. Si par malheur, un de nos compatriotes s'y laissait prendre, notre conscience nationale nous obligerait à faire l'impossible pour l'aider à s'en sortir. Quand quelque chose nous divise, nous nous efforçons d'y remédier pour que l'ennemi ne puisse en tirer profit. "L'ennemi n'a que douceur sur les lèvres, mais dans son coeur il projette de te culbuter dans le fossé" (la Bible).
1/ NOUS AVONS PRIS LE PARTI DE NE CITER AUCUN NOM DANS LE PRÉSENT. NOUS AVONS DÉJÀ ÉVOQUÉ CE PROBLÈME PLUS HAUT. NOUS ALLONS ABORDER PLUS LONGUEMENT.
Comme toi, nous estimons que le sort de notre nation ne dépend pas d'un miracle, ni d'un ou de plusieurs hommes providentiel. En rejetant les fautes passées ou présentes nommément et uniquement sur telle ou telle personnalité, ne serait-il pas une façon aussi de croire inconsciemment que notre sort et celui de la nation dépendraient encore uniquement d'elles? Si jusqu'à présent, comme tu le constates toi même, nos compatriotes au pouvoir se conduisent comme des Deva Raja de l'époque angkorienne révolue et que certains d'entre nous continuent à leur faire crédit, ne serait pas parce qu'au fond de nous mêmes, nous laissions encore se cacher ce mythe anachronique? Sans une prise de conscience individuelle, puis collective à l'échelle nationale, il serait à craindre que nous s’en serions jamais délivrés. C'est pour ces raisons que nous concentrons nos articles sur les idées, les pensées, les conceptions et non sur les individus, principe auquel nous nous attachons et que nous avons souligné dans l'éditorial de notre premier numéro.
L'homme juge, pense, raisonne, agit fondamentalement d'après ses subjectivités acquises au cours de sa vie et plus particulièrement dans son enfance. Cet héritage culturel et social acquis très tôt, reste solidement enraciné dans son inconscience qui régit ses subjectivités. Elles l'emprisonne et influencent ses jugements et son appréhension du monde extérieur. Il règle ses activités en fonction d'elles, et essaie de leur adapter la réalité des faits. C'est seulement quand il rencontre un obstacle ou qu'il entre en conflit avec quelque chose qu'il est obligé de réviser son attitude, souvent sans en comprendre le sens profond, mais parfois aussi en parvenant à en prendre conscience et à corriger en partie ses subjectivités et améliorer l'efficacité de ses activités futures. La prise de conscience procède donc d'un passage à un autre niveau dans la perception du monde extérieur. Les grands hommes d'Etat, les hommes qui agissent en responsable, sont ceux qui savent maîtriser leurs subjectivités, appréhender les contradictions du monde extérieur avec le maximum d'objectivité et les résoudre ou se préparer à les résoudre en temps voulu et dans le sens le plus proche possible des intérêts fondamentaux de la communauté nationale. L'homme au fond n'est que le jouet de ses pensées. C'est ce qui explique que nous donnons la priorité aux pensées.
D'un autre côté nous ne sommes pas, hélas! dans la position d'un médecin soignant un malade. Nous sommes nous-mêmes, chacun de nous à la fois le malade et son médecin. Le mal ne peut être guéri que si le malade en prend conscience par lui même et décide de se soigner et de guérir. Personne ne peut le faire à sa place. Il est encore moins de se fier à un médecin étranger qui ne peut forcément pas comprendre notre maladie.
Par exemple, certains débats nous divisent inutilement. Ainsi soulever maintenant la question de l'aspect formel du futur régime de notre pays serait-il de bonne opportunité? Républicain ou monarchique, une dictature ne pourrait-elle pas s'y cacher? Il y a des républiques qui sont des monarchies absolues, comme des monarchies qui sont démocratiques comme l'Angleterre, les pays nordiques et surtout l'Espagne où le roi Juan Carlos est devenu le garant incontesté de la structure démocratique de l'Etat et a su enterrer en douceur l'héritage franquiste. Ne serait-il pas plus important de nous organiser sérieusement d'abord pour lutter contre l'ennemi mortel venu de l'extérieur et puis engager entre combattants des discussions, avec la prudence qui s'impose, par exemple sur le problème des structures fonctionnelles de notre futur Etat national, Etat qui permet à chaque catégorie et couche sociale de sauvegarder ses intérêts fondamentaux légitimes? Ce faisant nous motiverons dans la lutte un nombre croissant de nos compatriotes où qu'ils se trouvent.
Nous avons écrit que nous avons comme point de mire fondamental le quartier général du PCV. Les marionnettes de Phnom Penh ne sont pas notre priorité. Car sans leurs montreurs, elles ne sont que les natures mortes. D'ailleurs ne voyons nous pas déjà disparaître un certain nombre d'entre-elles au gré de leurs maîtres? Comme Pen Sovan par exemple? Les marionnettes ne vivent que par les hommes qui les animent. Alors pourquoi tirer sur quelque chose qui ne vit pas par elle même? Pourquoi perdre son temps et s'abaisser à discuter avec elles? Quant aux soldats et fonctionnaires de l'administration fantoche à tous les niveaux, plus particulièrement les intellectuels, ils ne cherchent qu'à déserter pour rejoindre nos rangs ou à lutter contre l'ennemi en se servant de leur fonction même. L'ennemi le sait parfaitement mais de par sa nature il est impuissant à enrayer le mouvement. Faute de mieux, il est venu à éliminer physiquement déjà un certain nombre d'entre eux. Ces martyrs représentent l'autre aspect du combat de notre peuple. L'avenir de notre pays dépend fondamentalement de nous et surtout de la génération montante. En ne citant pas de noms de personnalités dans nos propos nous souhaitons responsabiliser chacun de nos compatriotes pour qu'il n'attend pas un miracle ni un homme providentiel pour sauver notre nation. C'est en nous habituant à penser par nous mêmes, en ne nous situant pas par rapport à ces personnalités mais par rapport à la conjoncture réelle de la lutte de notre peuple que nous pourrions y arriver.
2/ PROBLÈMES POSÉS PAR LES ERREURS CRIMINELLES COMMISES PAR LES DIRIGEANTS DU PCK (DPCK) DURANT LES ANNÉES 1975-1978.
A leur égard nous n'utiliserons pas l'expression "Khmers rouges" à cause de son imprécision même. L'ennemi l'utilise pour désigner ceux qui se battent résolument contre lui. Nous préférons utiliser la terminologie PCK ou DPCK qui a le mérite de désigner exactement les vrais responsables du drame. Au sujet des aberrations du régime de 1975-1978, nous te demandons de te référer à notre article dans le n° 1 de Perspectives. Le régime criminel des DPCK fait maintenant partie d'une période tragique de notre histoire, rien ne peut l'effacer. Il restera gravé dans la mémoire de notre peuple au même titre que la Guerre des Religions, la Saint-Barthélemy, le massacre des Chouans chez les Français, de même la politique répressive du PCV, le drame des boat people chez les Vietnamiens. Il ne s'agit pas de l'oublier, mais de nous organiser pour nous battre d'abord contre l'ennemi pour libérer notre patrie. C'est en luttant fondamentalement contre l'occupant que nous pouvons devenir forts et alors faire respecter notre point de vue sur la forme de l'Etat national après la libération ou tout le moins former un contre pouvoir crédible et efficace pour empêcher un régime de type 1975-1978 ou tout autre régime autocratique ou dictatorial de prendre le pouvoir après la libération. Le problème des DPCK est un problème intérieur cambodgien qu'il convient de résoudre entre Cambodgiens.
Depuis l'indépendance, nos hommes au pouvoir se croyaient gouverner un pays situé sur une île perdue dans le Pacifique comme la Nouvelle-Zélande par exemple, prenant à la légère les contraintes imposées par le voisinage d'une puissante RSV. Ils se contentaient de régenter dans le présent sans se préoccuper avec le sérieux qui s'impose, de bâtir une stratégie cohérente et viable pour l'avenir de notre pays en se basant sur notre héritage historique et sur le rapport des forces régionales et planétaire. Maintenant la réalité des faits se charge de nous ouvrir les yeux et s'impose à nos compatriotes qui sont conscients de leur responsabilité. Pour notre pays, il existe déjà trois contre pouvoirs dont il faudra tenir compte:
· a/ L'ennemi la RSV, puissamment aidée par l'URSS, est coriace. Aucune des parties du GCKD, aucun groupe d'intérêt, ou aucun clan quelconque ne pourra prétendre le chasser seul et prendre le pouvoir. Ces forces trouvent dans l'obligation de coopérer et d'accepter de faire mutuellement des concessions pour parvenir à une entente plus réelle. La RSV ne retirera jamais d'elle-même ses troupes d'agression de notre sol. Une fois notre pays libéré, elle continuera à constituer une menace permanente à la quelle nous devrons faire face stratégiquement.
· b/ Le peuple cambodgien, lui-même, représente un deuxième contre pouvoir. Déterminé dans sa lutte, il n'en est pas moins, en effet, contre l'ambition de telle ou telle force d'accaparer seule le monopole du pouvoir d'Etat.
· c/ Les pays qui nous aident et nous soutiennent, plus particulièrement la Thaïlande, la Chine et les USA constituent le troisième contre pouvoir dont nous devons tenir compte. Ils n'accepteront pas un pouvoir exclusivement entre les mains d'une seule force.
· d/ Mais le contre pouvoir le plus sûr et le plus efficace demeure dans une véritable force politique nationale solide et bien organisée, ayant des objectifs clairement exprimés et une stratégie cohérente pour les atteindre, dirigée par des hommes résolus et capable de mener la lutte victorieusement contre l'ennemi, d'abord politiquement puis diplomatiquement et militairement.
Dans un tel projet, ne jamais perdre de vue que la force principale de combat réside dans la paysannerie et les travailleurs des villes dont les intérêts seront scrupuleusement respectés et défendus. La petite bourgeoisie des villes et plus particulièrement sa composante instruite constitue la force complémentaire indispensable. C'est parmi elle que se recrutaient nos dirigeants dans le passé, c'est encore parmi elle que surgiront les futurs dirigeants de la nation.
La question cruciale est de savoir si les personnes qui n'appartiennent à aucune partie, ont suffisamment de courage, de détermination et d'intelligence pour s'affirmer en une force, ou si elles sont condamnées à n'émettre que des critiques stériles dont seul profite l'ennemi?
De toute façon la bataille des idées fait rage à l'heure présente parmi nos compatriotes. Elle pénètre partout, dans toutes les formations, toutes les organisations et tous les groupes, y compris au sein même du PCK, à l'étranger et au Cambodge même. La lutte est d'autant plus âpre que la relève inéluctable des générations fait déjà sentir ses effets. Cette bataille montre que la pensée cambodgienne est vivante. C'est un signe de santé de notre nation. "La mort de l'homme est la mort de son cerveau. Le coeur peut battre, le poumon peut respirer. Si le cerveau est mort, cet homme est mort." (Jean Bernard). Nous pouvons paraphraser en : la mort d'une nation est la mort de sa pensée. Le peuple peut se battre, mais une Nation ne peut se former s'il n'y a pas une pensée nationale.
L'avenir de notre nation dépend en grande partie de la capacité de la génération montante à élaborer une pensée nationale, à prendre ses responsabilités, et à assurer la relève.
Le problème des DPCK est un problème interne. C'est à nous de le régler par le jeu des rapports de forces à l'intérieur de la communauté nationale. Tu l'exprimais à peu près la même idée quand tu écrivais: "Pour nous, nationalistes, à l'égard des Khmers Rouges il n'y a qu'une seule attitude réaliste et cohérente: les laisser combattre les Vietnamiens (ils n'ont pas besoin de notre autorisation pour cela) et ne rien faire qui puisse les affaiblir militairement. Ils ne sont soutenus que par les Chinois et ces derniers, pour des raisons stratégiques ne les "lâcheront" jamais quoique nous puissions dire sur les comptes de leurs protégés. S'il y a une faible chance de faire changer d'avis aux chinois c'est de leur montrer que nous sommes capables d'assurer nous-mêmes l'avenir de notre pays".
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LA DÉSINFORMATION ET LE CAMBODGE
Sun Tzu, stratège et philosophe de la guerre chinoise a écrit, cinq siècles avant Jésus Christ, un opuscule de 13 articles intitulés "L'Art de la guerre". Depuis lors aucun traité de ce genre ne l'a dépassé en étendue et en profondeur de jugement. Il est toujours d'actualité aussi bien pour ceux qui veulent dominer les autres que pour ceux qui veulent les combattre. Plus de deux mille ans plus tard, Clausewitz, général et théoricien militaire prussien de l'époque napoléonienne, qui a participé à la bataille de Waterloo a écrit un monumental traité intitulé "De la guerre" le seul qui soit comparable à celui du célèbre Chinois. Clausewitz écrivait que "la guerre n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens". Sun Tzu, plus dialectique, pensait que la politique et la guerre sont les deux aspects d'une même volonté de vaincre, c'est-à-dire de dominer, et il énonce sa fameuse conception "L'Art suprême de la Guerre c'est de soumettre l'ennemi sans combat". Pour Sun Tzu, l'armée est l'instrument fondamental qui doit être, éventuellement, en mesure de donner le coup de grâce à un ennemi préalablement manipulé et arrivé à un état tel qu'il est déjà vaincu moralement, politiquement, stratégiquement et organisationnellement. Un ancien chef d'état major de l'armée soviétique écrivait, paraphrasant Sun Tzu "l'armée victorieuse attaque un ennemi démoralisé et battu d'avance".
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LETTRE OUVERTE DE CHAU SÂN
"Cher SETHIK,
"Quand je pris connaissance de ton article, j'étais comme dans un rêve. Depuis sept mois j'étais un "voyageur solitaire qui traversais une forêt marécageuse peuplée de crocodiles et de dragons. La terre "ferme étant très rare les crocodiles me guettaient à chaque tournant et des fois quand j'étais vraiment fatigué je finissais même par me dire que je terminerai certainement ce voyage dans le ventre" de l'un de ces reptiles. Les uns portaient des chapeaux coniques et d'autres étaient vêtus de noir. "On m'avait bien promis qu'il y avait deux dragons qui me protégeraient et me guideraient jusqu'à ma "destination. Mais au lieu de cracher leur flamme contre les affreux crocodiles, les deux dragons se "contentaient de leur faire du charme. Un dragon peut-il être amoureux d'un crocodile ? Cela dépasse ma pensée. Parfois même ces dragons dirigeaient ses flammes contre moi, mais là c'était de ma faute : souvent je tirais la queue pour rappeler qu'ils étaient là pour terrasser les crocodiles et non pas pour leur faire du charme.
Réponses à Chau Sân - I
Perspectives
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RÉPONSE AUX QUESTIONS DE CHAU SÂN I
Cher Chau Sân,
Jusqu'à présent, nos compatriotes vivaient dans une forêt dominée par des monologues, où chacun se considère comme seul détenteur de la "Vérité", n'admet la moindre opinion contraire et déclare qu'il a toujours eu raison dans le passé et est infaillible pour le présent et le futur. Pourtant notre pays et son peuple doivent faire face actuellement à une situation extrêmement périlleuse dont personne ne se déclare responsable.
Voilà que, comme Diogène, avec ton mensuel "Cambodge an 8" comme lanterne, tu cherches "un homme" avec qui dialoguer. Après plusieurs tentatives infructueuses, ayant lu notre article dans le numéro 1 de "Perspectives", le trouvant intéressant, tu nous invites à une sorte de "tés krê pi" si prisé par notre peuple. Traditionnellement, il consiste en un débat oral et public entre deux bonzes où chacun à son tour pose des questions relatives à la religion bouddhiste et chacun à son tour y répond. Notre débat, lui, a pour thème fondamental la lutte de notre peuple contre la guerre d'agression imposée par la République Socialiste du Vietnam (RSV) puissamment aidée par l'URSS.
Nous utilisons la forme écrite; elle permet à la pensée de s'exprimer et de communiquer dans toute sa profondeur et toute sa puissance. Les paroles s'envolent, les écrits restent. On peut les consulter à loisir, suivre les raisonnements de l'auteur, déceler leurs points forts comme leurs points faibles, leurs failles et leurs contradictions.
Ainsi, nous avons lu avec intérêt ton "Cambodge an 8" : dès son premier numéro, tu exprimes avec sincérité et fougue cette sorte de d'angoisse qui paralyse nos compatriotes à l'étranger et les confine à l'inaction face à l'agression nord-vietnamienne. Actuellement, paraissent de nombreuses revues culturelles et politiques cambodgiennes. Cette floraison n'est qu'à ses débuts. Elle est le début de la renaissance de la pensée cambodgienne, indispensable à la lutte actuelle et à l'avenir de notre nation. Nous souhaitons que notre dialogue aboutira à un large débat positif et fructueux.
Avant de répondre à tes questions, nous désirons tout d'abord expliciter tes positions que nous jugeons fondamentales et auxquelles nous souscrivons entièrement. Nous leur apportons ensuite des précisions pour clarifier notre pensée. Puis nous aborderons certains sujets qui sont indispensables pour servir de cadre dans lequel se situeront nos réponses à tes questions. Nous essayons de condenser au maximum. Chaque sujet sera traité plus amplement ultérieurement.
Les points d'accord :
I. A l'agression et à l'occupation de notre pays, tu as répondu par une déclaration de guerre sans équivoque à l'ennemi principal qui est Hanoï en intitulant ton mensuel "Cambodge an 8". Car la guerre imposée à notre peuple dure depuis 8 ans au moment de la parution de ton premier numéro. C'est ce qui explique tes prises de position fermes et nettes concernant les rencontres avec les représentants du régime fantoche installé par Hanoï à Phnom Penh.
II. Tu as précisé la forme de la guerre que nous menons en donnant une citation de Churchill en deuxième page: une guerre populaire.
III. Comme première conséquence logique à ces deux prémisses, tu cherches à t'engager militairement. Mais aucune des formations existant ne te convient et nous te comprenons. Alors, logique avec toi-même, tu cherches à mobiliser nos compatriotes contre l'ennemi en publiant ton mensuel et en cherchant le dialogue en premier lieu avec ceux qui pensent et qui se sentent responsables à divers degrés de l'avenir de notre pays.
Avant d'aller plus loin, nous désirons apporter quelques précisions supplémentaires que nous jugeons importantes. Nous estimons que pour bâtir quelque chose de solide et de durable, il faut définir et cerner avec le maximum de précision chaque mot, chaque expression, chaque concept. Cette précision est la condition première pour une formulation cohérente de la pensée, prélude indispensable à tout acte efficace et responsable.
1. L'ennemi est bien ciblé: les responsables du Parti Communiste Vietnamien (PCV), actuellement maître de la RSV. Il est important de ne pas les sous-estimer ni les sur-estimer. Il est actuellement l'un des plus coriaces et des plus sournois. Voici comment Olivier TODD le décrit dans la préface de son dernier livre "Cruel d'Avril". "Pour autant, je n'ai pas réduit les nord-Vietnamiens à un rôle et à la taille de marionnettes déshumanisées, il faut rendre à César ce qui appartient aux hommes de Hanoï: une volonté démesurée, mégalomaniaque, une espèce d'héroïsme aussi implacable qu'incontestable, en même temps qu'une fabuleuse ignorance du monde au-delà de leurs frontières."
"La direction collective à Hanoï fonctionne comme un monstre froid jusqu'au-boutiste, "l'intelligence de l'Etat personnifiée", selon la formule de Clausewitz, maîtrisant les trois fronts symboliques de la guerre, la diplomatie, la politique et le militaire."
2. Rappelons aussi ses objectifs stratégiques : faire de notre pays une province nord-vietnamienne. Non seulement le Cambodge sera à effacer de la carte du monde, mais rien ne devra subsister : les noms des personnes et de géographie, la culture, l'histoire, les noms de nos sites historiques seront vietnamisés. En résumé, l'ennemi vise à exterminer notre héritage culturel et notre nation, ce que dans le langage scientifique on appelle ethnocide. C'est donc à tort que certains utilisent l'expression "guerre d'extermination raciale" pour déterminer la guerre d'agression nord-vietnamienne. Comment peut-on en effet définir sans ambiguïté la "race cambodgienne", la "race khmère", la "race vietnamienne", la "race môn khmère". Certains fantoches utilisés par Hanoï, ne sont-ils pas bronzés à souhait pour représenter la "race môn khmère"? Ceux de nos compatriotes venant du Sud-Vietnam sont-ils assurés de ne pas avoir d'ascendants vietnamiens? Sait-on que les Nord-Vietnamiens eux-mêmes revendiquent leur appartenance à la grande famille môn-khmère d'après la structure de leur langue ?
Ainsi, parler de la guerre d'extermination raciale n'est pas conforme à la réalité. Cela ne peut que créer la confusion chez nos compatriotes et nos amis étrangers, confusion dont profite l'ennemi.
Par contre, il est très important de souligner que l'ennemi engage contre notre peuple et notre nation une guerre totale dans tous son sens et son expression. Tous les Cambodgiens, où qu'ils se trouvent qu'ils le veuillent ou non, sont concernés, ils sont les cibles de l'ennemi : cibles militaires, cibles diplomatiques, cibles politiques, cibles de la guerre des médias c'est à dire de la désinformation.
3. L'ennemi engage contre nous une guerre de conquête, il est donc obligé d'utiliser principalement son armée régulière et il a besoin d'une décision rapide. Nous, de notre côté, nous avons à défendre notre nation, notre héritage culturel, notre indépendance et notre souveraineté. D'après Clausewitz, une guerre défensive peut être "la forme de guerre la plus forte" dans la mesure où nous pouvons exploiter nos avantages naturels que sont: le terrain, l'espace et le temps, par la mobilisation politique du peuple. Ainsi pour qu'une guerre de défense l'emporte, il faut qu'elle soit populaire et prolongée. Mao Tsé Tung complétait "pour que la guerre du peuple soit invincible, il la faut populaire et prolongée, donc nationale et révolutionnaire".
D'ailleurs dans ta lettre ouverte, tu dis que tu es un révolté et que tu veux partager ce que tu as dans le coeur. Un groupe de révoltés bien organisés peut déclencher une révolte. Des révoltes bien coordonnées et généralisées deviennent une révolution qui balaiera toutes les troupes ennemies de notre pays. Nos arrières-grand-pères l'ont déjà fait au milieu des années 1840, peu de temps avant la période coloniale. Le mot révolution ne doit pas nous faire peur, car toutes les guerres populaires sont nécessairement révolutionnaires. Churchill a bien défini la nature de la Seconde Guerre Mondiale : une guerre des peuples, elle est donc révolutionnaire. Elle apporte la libération de tous les pays colonisés, à l'exception de ceux conquis par les tsars de Russie, qui sont englobés actuellement dans l'URSS, auxquels viennent s'ajouter les pays de l'Europe de l'Est après la défaite hitlérienne. L'URSS et les pays d'Europe de l'Est représentent le seul empire colonial existant en cette fin du XXè siècle.
C'est parce que la guerre actuelle est nationale et révolutionnaire que le peuple cambodgien se bat non seulement pour se libérer du joug de Hanoï pour l'indépendance nationale et la souveraineté dans son intégrité territoriale, mais aussi pour l'instauration d'un régime qui respecte ses libertés et ss droits fondamentaux ainsi que les intérêts légitimes de toutes les couches et classes sociales de la nation, contre tout régime de type féodal ou dictatorial ou autocratique.
4. Il importe que cette guerre populaire soit aussi totale et permanente au sens plutôt matériel de Clausewitz et surtout au sens plutôt moral et intellectuel de Sun Tzu, car nous sommes un petit pays.
L'ennemi et nos objectifs stratégiques étant ainsi bien définis, tous nos compatriotes, où qu'ils se trouvent, peuvent concentrer leur tir. Nous entendons par compatriotes, tous ceux qui ont reçu directement ou indirectement une culture cambodgienne et qui veulent l'indépendance et la souveraineté du Cambodge. Nous pouvons utiliser toutes les armes et toutes les formes de combat : armes blanches, légères, lourdes, diplomatiques, politiques, médiatiques, on peut tirer sur l'ennemi en snipers, en groupes en formations organisées politiquement ou/et militairement.
Dans cette guerre populaire de longue durée, nous avons besoin aussi bien des tireurs d'élite à la Robin des Bois ou à la Guillaume Tell, que de personnes qui n'ont jamais tenu une arme ou qui n'ont jamais combattu.
Actuellement la situation sur le terrain est la suivante :
L'ennemi a engagé contre nous une guerre de conquête. Il est donc obligé d'utiliser massivement son armée régulière pour obtenir une décision rapide. Maintenant, après plus de 9 ans de combat, le peuple cambodgien lui impose une guerre populaire et révolutionnaire de longue durée. L'ennemi a stratégiquement perdu l'initiative sur la forme de la guerre qu'il voulait nous imposer. Les expériences historiques montrent que qui perd cette initiative perd la guerre.
D'autre part, dans le monde, touts les peuples, tous les gouvernements, toutes les organisations qui luttent d'une façon ou d'une autre contre la politique de domination mondiale de l'URSS dont la politique de domination régionale de la RSV est un des piliés sont nos alliés effectifs ou potentiels. Les Vietnamiens qui luttent contre le régime de Hanoï sont aussi dans ce cas. En ce qui concerne le corps expéditionnaire envoyé par Hanoï, nous luttons à mort contre les soldats vietnamiens qui obéissent aux ordres, mais nous favorisons les désertions et les mutineries.
Nos compatriotes à l'étranger vivent actuellement dans les pays du monde occidental, stratégiquement menacés par l'URSS. Les intérêts de ces pays concordent avec les objectifs de notre lutte. Nous avons donc le soutien d'une partie importante de leur peuple et de leur gouvernement.
Mais la détermination, le courage et la persévérance dans la lutte dépend que de nous. On ne soutient que ceux qui sont déterminés à lutter. Une fraction de plus en plus importante de nos compatriotes, en particulier parmi les jeunes se rendent compte de cette vérité.
5. Pour faire une guerre totale, il faut une mobilisation totale : matérielle, humaine et surout cérébrale. Des trois, la dernière est la plus difficile, et elle est décisive. il faut non seulement que le maximum de nos compatriotes utilisent leur cerveau dans la lutte, mais surtout qu'ils utilisent bien, c'est-à-dire dans les meilleures conditions qui sont de deux ordres :
a) D'ordre mental : il faut avoir la détermination, le courage, la persévérance dans la lutte, avoir la volonté de se battre jusqu'à la victoire quelles qu'en soient les circonstances, les difficultés, la durée et le prix. Cette disposition mentale conditionne l'objectivité de nos réflexions et l'efficacité de nos décisions et de nos activités. A la limite, tout le monde connaît la paralysie intellectuelle qui s'empare des personnes gagnées par la peur ou l'angoisse. On ne peut se battre que si on n'a pas peur. Ceux qui n'ont pas peur de la mort vaincront. Ceux qui ont peur de mourir seront battus (Sun Tzu).
b) D'ordre intellectuel : notre cerveau étant maintenant dans les bonnes conditions pour fonctionner, il lui faut apporter des aliments de base : nous pénétrer
de notre véritable histoire ancienne, contemporaine, récente et des événements actuels;
des caractéristiques fondamentales de l'histoire mondiale et surtout celles de l'époque actuelle avec une remise à jour constante du rapport global et partiel des forces.
Ces données ne sont pas facile a obtenir, mais parmi nos compatriotes et leurs amis étrangers il y a des spécialistes qui peuvent nous les fournir. Nous pouvons aussi les acquérir en lisant des livres ou en suivant des séminaires les concernant. Elles seront affinées par des discussions et surtout en les confrontant à la réalité de la lutte. En un mot, nous informer des expériences historiques nationales et internationales, méditer, lutter activement est fondamental pour saisir à temps la trame qui sous-tend tous les événements dans notre pays et dans le monde, et par la suite pour prévenir et combattre la guerre diplomatique, politique et médiatique de l'ennemi, dont l'objectif est d'émousser puis de briser notre volonté de lutte. Bien informés et bien expérimentés, nous serons alors en mesure à notre tour d'organiser dans des bonnes conditions et avec les moyens appropriés la riposte populaire et médiatique.
En résumé, et nous insistons, ce qui est sous-utilisé dans la lutte actuelle, c'est notre impalpable intelligence qui est pourtant l'arme décisive. Sonnons donc la mobilisation générale et totale de toutes les intelligences cambodgiennes, les intelligences internationales sont prêtes à nous soutenir. Les armées ne valent que ce que valent les cerveaux qui commandent et les cerveaux qui exécutent. Dans toute guerre, ce qui est décisif c'est le moral et l'intelligence des combattants et de leurs chefs.
Pour que notre réponse à tes questions soit claire, nous désirons encore aborder certains sujets que nous pensons utiles : l'importance de la prise de conscience dans l'histoire de l'homme; l'histoire de la prise de conscience nationale au Cambodge.
LA PRISE DE CONSCIENCE DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ :
Certains animaux comme les chimpanzés, cousins les plus proches de l'homme, savent utiliser des branches d'arbres par exemple comme armes ou comme outils, mais ils les abandonnent aussitôt après l'usage. Les premiers hommes s'en distinguent par la prise de conscience des possibilités d'identification entre l'objet et son usage : possibilité de sélectionner la forme et l'essence du bois par exemple pour un usage bien déterminé. Cette démarche les amène à conserver soigneusement l'arme ou l'outil choisi. Ils étendent leurs choix à d'autres matériaux : os, dents, pierres, galets. Par l'usage, les outils s'usent ou se cassent. Les plus perspicaces d'entre eux prennent conscience que certains outils cassés sont plus efficaces, d'où l'idée de les casser volontairement, d'où la fabrication des "galets aménagés" qui sont pratiquement indestructibles et qui restent et témoignent. Ce sont les vestiges les plus anciens du premier pas décisif qui donne la prééminence de l'homme sur les autres animaux. Il y a de cela, 2 500 000 ans environ, en Afrique dans le gisement de l'Omo : Cette première industrie de l'Histoire est constituée d'une grande quantité d'éclats, artificiellement percutés et utilisés pour leurs tranchants, de galets dont une pointe ou un tranchant ont été aménagé par une série d'enlèvements, et d'ossements ou de dents préparés ou utilisés directement lorsque leurs formes s'y prêtaient (canine d'hippopotame ou de suidé, par exemple).
Ces outils peuvent se ranger en un certain nombre de types. Chacun de ces types est reproduit à un certain nombre d'exemplaires. Ce qui signifie que leur forme a déjà fait l'objet d'une recherche, qu'elle est l'acquisition d'une expérience transmise d'une génération à l'autre, impliquant une certaine vie sociale. En d'autres termes, il y a 2 500 000 ans, nous ne sommes pas à l'origine de l'outil. Mais nous approchons probablement des limites de sa perception; au-delà, il doit se confondre avec des objets naturels (Y Coppens).
Cette vie sociale, cette faculté de conserver la mémoire collective pour la transmettre aux générations suivantes suppose l'invention du langage parlé, c'est-à-dire quelque chose que ne peut prévoir aucune loi de la nature.
Ainsi, dès le premier pas décisif de l'hominisation dans l'interaction symbiotique et dialectique entre le cerveau et le corps dont la main en particulier, s'affirme la primauté du cerveau. C'est ce que Paul Valéry disait d'une façon imagée, en paraphrasant La Fontaine : "Maître cerveau sur son homme perché".
Passons rapidement sur les étapes suivantes :
§ utilisation du feu il y a 500 000 ans,
§ première sépulture rituelle à Shanidar en Irak il y a 60 000 ans; pour la première fois la culture est allée au-delà de la confection et de l'usage d'instruments; l'homme s'interroge sur lui-même et commence ainsi à prendre conscience de sa propre existence;
§ il y a 40 000 ans, utilisation de repères matériels pour améliorer la conservation de la mémoire collective : dessins, peintures, sculptures rupestres;
§ maîtrise de l'élevage et de l'agriculture il y a 10 000 ans;
§ il y a 6 000 ans invention de la numération écrite suivie rapidement de celle de l'écriture et peu de temps après de la constitution des bibliothèques.
Le langage parlé est un instrument pour la transmission de la mémoire collective, pour la communication entre individus et aussi pour aider la pensée à élaborer ses concepts. Il se développe avec l'évolution de l'homme. Il est indispensable dans toute communauté humaine, et tout enfant l'apprend naturellement. On peut donc l'utiliser sans en prendre conscience. L'écriture et la lecture demandent un effort plus important. C'est pourquoi on peut dire qu'en inventant l'écriture l'homme prend conscience de l'importance du langage. L'écrit est non seulement un instrument qui permet la matérialisation de la parole, mais aussi un support extraordinairement puissant pour l'élaboration d'une pensée qui prend conscience d'elle-même. Sans l'écriture, la civilisation humaine actuelle est impossible, impensable. On ne voit pas , dans un avenir prévisible son remplacement par autre chose.
LES DÉBUTS DE LA PUISSANCE EUROPÉENNE :
Il y a près de mille ans, à l'extension du monde musulman, l'Europe chrétienne répond par les croisades. Comme après plusieurs siècles de combat la guerre entre musulmans et chrétiens s'était soldée par un match nul, les belligérants engagent la guerre du savoir et de l'intelligence. Les rançons se payaient en manuscrits. Au début, le monde musulman avait la suprématie pour ainsi dire absolue : il est non seulement le dépositaire des civilisations moyen-orientales, et méditerranéennes, mais il est aussi en contact direct avec les civilisations chinoises, indiennes et sud-est asiatiques. Ses bibliothèques sont les plus riches et ses savants font autorité. Une légion de traducteurs travaillaient en Espagne. Par exemple, les premières traductions des oeuvres d'Euclide en latin, sont faites à partir des textes arabes.
Mais l'Europe savait construire des cathédrales sans l'aide du théorème de Pythagore, ni celui de Thales. C'est donc avec avidité que les cerveaux européens avalent ces nouveaux aliments. L'Europe est une mosaïque de civilisations qui entrent en compétition militairement et aussi intellectuellement. C'est ce qui fait sa faiblesse mais aussi sa force.
D'autre part, le papier permet une multiplication rapide des manuscrits et des copies. Le long du Rhin il y a une multitude de villes relativement indépendantes les unes des autres. Chaque ville veut sa ou ses bibliothèques. Il faut donc des copies d'un même livre par centaines. C'est l'origine de l'invention de l'imprimerie par Gütenberg en 1434, ou plus exactement de sa réinvention, car elle l'était déjà en Chine plusieurs siècles auparavant, mais peu utilisée. L'imprimerie à son tour vient révolutionner les systèmes médiatiques médiévaux. Elle permet aux idées, exprimées dans une seule langue, le latin, de circuler librement d'un bout à l'autre de l'Europe.
Cette intense compétition intellectuelle aboutit à la prise de conscience fondamentale du principe qu'il fallait compléter les connaissances théoriques par sa vérification fondée par l'observation systématique et rationnelle de la nature et par l'expérimentation.
Christophe Colomb l'appliquait implicitement en découvrant l'Amérique. Il était également implicite dans les travaux scientifiques de Galilée. Elle était perçue explicitement, mais mal formulée par Francis Bacon au début du XVIIè siècle puis énoncée clairement par après par le "vrai est ce qui est vérifiable" de René Descartes.
Ainsi, la suprématie du monde occidental à partir de la renaissance provient fondamentalement :
a) de la connaissance de l'héritage culturel du monde entier,
b) du culte du savoir et de la compétition.
Un savant ou un homme de savoir est respecté universellement et peut voyager librement non seulement en Europe, mais aussi dans le monde musulman, même pendant les périodes de conflits armés. Enfin, l'Europe a compris la première nécessité d'élargir l'accès à la connaissance et d'instaurer progressivement la démocratisation du savoir.
Ainsi, l'histoire de l'homme se confond avec l'histoire des prises de conscience. Ces dernières se multiplient et s'amplifient avec le développement des possibilités matérielles pour conserver la mémoire collective de l'humanité, pour les communiquer et pour permettre à un nombre toujours croissant d'hommes d'y avoir accès.
Abordons maintenant le mécanisme qui conduit à une prise de conscience. Examinons par exemple l'utilisation du feu. D'abord seule une petite minorité savait comment se procurer le feu, comment le transporter et comment l'entretenir; ce n'est qu'après que les techniques enseignées à la communauté toute entière. Ainsi, le fonctionnement d'une communauté humaine est comparable à celui du corps humain. Les individus d'une communauté vivent en interaction constante les uns avec les autres pour se défendre et pour se procurer de la nourriture, un peu à la manière des interactions des organes d'un corps humain. Nous avons vu que, pour le corps, émerge la suprématie du cerveau. De même dans une communauté humaine, émerge l'importance des plus érudits, des plus intelligents, des plus capables, des plus courageux et de la nécessité de la collaboration harmonieuse entre eux et avec la communauté qu'ils dirigent, à la manière de l'harmonie entre le cerveau et le corps qui conditionne l'équilibre d'un individu.
Donc, le courage, la pensée, l'intelligence et la prise de conscience sont les armes essentielles dans la lutte actuelle pour la survie de notre nation. Alors, en accord avec toi, nous limitons pour l'instant notre débat à ceux d'entre nous qui pensent, qui sont correctement informés de la réalité de la situation du Cambodge et qui luttent contre l'agression nord-vietnamienne. Les idées ainsi lancées traverseront toutes les frontières et tous les obstacles. Elle atteindront nos compatriotes au Cambodge : ceux qui vivent provisoirement sous le joug nord-vietnamien comme ceux qui combattent sous la direction des trois composantes du GCKD. Elles atteindront nos compatriotes où qu'ils se trouvent, les aident à prendre conscience du fait national cambodgien et les mobilisent dans la lutte contre l'ennemi : le PCV.
HISTOIRE DE LA PRISE DE CONSCIENCE NATIONALE AU CAMBODGE
1. L'histoire, le sentiment national, la conscience nationale et la nation
De tout temps les hommes doivent se grouper pour se défendre, pour la collecte de la nourriture, pour la chasse ou pour lutter contre d'autres groupes d'hommes. Alors, les actions collectives et la coordination des conduites individuelles qu'elles impliquent, l'établissement et l'application des règles exigent que des décisions soient prises et exécutées. Le pouvoir est l'ensemble des processus et des rôles sociaux par lesquels sont effectivement prises et exécutées ces décisions qui engagent et obligent tout le groupe.
Pour une communauté peu nombreuse où tout le monde se connaît, ces processus peuvent s'organiser assez simplement: le chef ou un petit groupe de personnes, les plus anciens, les plus courageux, les plus expérimentés prennent les décisions pour la communauté et veillent à leur exécution eux-mêmes directement. C'est le cas par exemple d'une tribu.
Pour une communauté plus importante, composée de beaucoup de groupes répartis sur un vaste territoire, il faut d'abord que tous ces groupes se sentent liés par des intérêts, par l'héritage culturel et social, c'est-à-dire par des intérêts historiquement constitués, de telle sorte que chaque individu se sente appartenir non seulement à son groupe restreint, mais aussi à une entité plus vaste qu'il juge seule capable de le défendre. C'est, à l'état embryonnaire, l'ébauche du sentiment national. Il existe alors des hommes et des groupes d'hommes spécialisés désignés pour exécuter les directives du pouvoir central dans le but de défendre les intérêts et la sécurité de l'ensemble de la société. C'est le début de la formation de l'Etat.
Ainsi après un long processus historique plus ou moins long, l'interaction durable entre le peuple et l'Etat peut transformer un pays en nation. Les étapes sont : sentiment national, conscience nationale et nation avec son Etat national.
Donc, pour qu'il y ait un sentiment national, il faut d'abord, à quelques rares exceptions près, un territoire et une langue commune. Pour que ce sentiment se cristallise et devienne une véritable conscience nationale, il faut une structure d'Etat capable de l'étayer progressivement. Il y a alors une interaction de plus en plus étroite et durable entre les individus et l'Etat qui les gouverne. Progressivement des hommes émergeront pour faire évoluer cet Etat pour que ce dernier sont en mesure d'organiser d'une façon toujours plus satisfaisante la vie économique et sociale du pays, le maintien de la sécurité intérieure et extérieure, de telle sorte que personne ne puisse se sentir exclue ni se placer au-dessus des lois établies. Cet Etat évolue vers un Etat national. Alors la cohésion de la communauté devient telle que chacun de ses membres se sent concerné et capable de sacrifices pouvant aller jusqu'à celui de la vie lorsqu'il y a un danger grave comme par exemple une agression ou une invasion étrangère. La communauté ainsi constituée devient une nation gouvernée par un Etat national.
En ce qui concerne notre pays, nous laissons pour le moment les problèmes du territoire et de la langue, nous les aborderons ultérieurement. Nous désirons insister en premier lieu sur les problèmes liés à notre histoire, car c'est la partie la plus négligée par nos compatriotes. "Dès qu'elle prend conscience d'elle-même, une nation veut justifier son présent par son passé. Rien ne lui prouve mieux son existence que son histoire. En un sens, ce sont les historiens qui créent les nations." (1). L'histoire est écrite pour répondre aux interrogations du présent. En ce qui concerne la nôtre, seuls des Cambodgiens sont en mesure de poser des questions qui les préoccupent et leur trouver des réponses appropriées. A cet égard, il est très instructif de lire les deux thèses consacrées à peu près à un même sujet et soutenues à peu près à un an d'intervalle. La première, intitulée "La communauté vietnamienne au Cambodge à l'époque du protectorat français (1863-1953)" soutenue par notre compatriote Khy Phanara à Paris III en 1974; la seconde intitulée "Les Vietnamiens aux Cambodge" (durant la même période) soutenue par J. Pouvatchy à Paris IV en 1975. Les deux auteurs ont eu accès aux mêmes documents. La thèse de Khy Phanara répond dans l'ensemble à nos interrogations et en suscite d'autres. (Que son jury en soit remercié). Celle de Pouvatchy nous est presque totalement étrangère. Pourtant l'auteur a vécu plusieurs années chez nous. Cela ne veut pas dire que les recherches internationales sur notre histoire sont inutiles. Loin de là, nous tenons à remercier la communauté internationale pour sa contribution inestimable à ces recherches en particulier l'Ecole française d'Extrême Orient et plus spécialement un de ses membres éminents Bernard Philippe Groslier. Mais hélas, personne ne peut remplacer les historiens cambodgiens dans la prise de conscience de notre véritable identité nationale. Le Cambodgien est modelé progressivement par sa culture et son expérience dans un contexte historique donné. Il est le seul en mesure de comprendre les méandres de son histoire et d'en tirer les enseignements pour son avenir.
A ce sujet, nous désirons citer certains passages de l'"Histoire générale de l'Afrique" édictée par l'UNESCO en 1980. (Introduction générale par J. Ki-Zerbo).
"L'Histoire de l'Afrique, comme celle de l'Humanité entière, c'est, en effet, l'histoire d'une prise de conscience".
"Or, plus que toute autre discipline peut-être, l'histoire est une science humaine, puisqu'elle sort toute chaude de la forge bourdonnante ou tumultueuse des peuples. Façonnée réellement par l'homme sur les chantiers de la vie, construite mentalement par l'homme dans les laboratoires, les bibliothèques et les chantiers de fouilles, l'Histoire est faite aussi par l'homme, pour le peuple, pour éclairer et motiver sa conscience".
"... l'ignorance de son propre passé, c'est-à-dire d'une grande part de soi-même, n'est-elle pas davantage encore aliénatrice ? Tous les maux qui frappent l'Afrique aujourd'hui, ainsi que toutes les chances qui s'y relèvent, résultent de forces innombrables propulsées par l'Histoire". "A moins d'opter pour l'inconscience et l'aliénation, on ne saurait vivre sans mémoire, ni avec la mémoire d'autrui. Or l'histoire est la mémoire des peuples".
La France va fêter bientôt le deuxième centenaire de sa révolution. Actuellement sort des imprimeries, un grand nombre d'ouvrages sur la formulation de la nation française écrits par des historiens de renom comme Emmanuel Le Roy Ladurie, Fernand Biraudel, Georges Duby ou moins connus comme Colette Beaune, Myriam Yardeni, Brigitte Bas devant-Gaudemet etc. Ces auteurs essaient de mettre en lumière les raisons qui font que les Français de toute origine sociale savent s'unir en cas de malheur et faire des sacrifices allant jusqu'à celui de leur vie. Ces recherches nous sont donc extrêmement utiles pour nous qui cherchons à ancrer notre identité nationale.
Toute prise de conscience nationale passe ainsi nécessairement par une prise de conscience de sa propre histoire. Or notre histoire même contemporaine et les événements présents, sont écrits et commentés principalement par des étrangers. Ils sont donc imprégnés de leurs subjectivités et de leurs préoccupations qui ne sont pas souvent les nôtres. La tâche des historiens cambodgiens est de ramener au jour ce que leurs compatriotes, consciemment ou non veulent savoir de notre passé pour motiver leurs activités et leur lutte contre la guerre de conquête nord-vietnamienne. L'histoire est écrite par des peuples debout, les vaincus n'ont pas droit à la parole. Donc renoncer à nous intéresser à notre histoire c'est déjà accepter d'être battu. Sartre disait, "Et toi tu n'as pas le droit de me juger, puisque tu n'iras pas te battre".
Pour que nous, Cambodgiens, soyons réconciliés avec notre passé et fiers de nos ancêtres et de notre identité nationale, pour que nous nous sentions bien dans notre peau en toutes circonstances, nous désirons jeter quelques jalons dans notre histoire à première vue si embrouillée.
PROBLEMES DE NOS ORIGINES ET
LE SENTIMENT NATIONAL CAMBODGIEN.
Nous souhaitons qu'il existe un Fernand Braudel cambodgien qui écrirait un livre sur "l'Identité du Cambodge" et qui commencerait son ouvrage par : "Je le dis une fois pour toute. J'aime le Cambodge avec la même passion, exigeante et compliquée que Vonsa Sarpec Non. Sans distinguer entre ses vertus et ses défauts, entre ce que je préfère et ce que j'accepte moins facilement". Texte de Braudel que nous avons paraphrasé en remplaçant France et Jules Michelet par leurs homologues cambodgiens. Vonsa Sarpec Non est le premier historien du Cambodge connu (début du XIXè siècle). L'histoire du Cambodge ancien est pour le moment fondée principalement sur l'épigraphie. Les documents écrits étrangers sont très peu nombreux et doivent être interprétés avec beaucoup de précautions. Ce n'est que récemment que l'on sait interpréter et relier d'une façon cohérente certains vestiges jusqu'à présent muets parce que ne comportant pas de textes écrits.
Ainsi, jusqu'à présent on pensait que la civilisation khmère serait issue d'une invasion pacifique d'un peuple hautement civilisé venant de préférence de l'Inde, conduit par un certain Houen-Houei ou Houen-t 'ien d'après une chronique chinoise, que l'on traduit généralement en Kaudinya ou Kambu selon les auteurs, éponyme tout désigné de Kampuchea, nom de notre pays en Cambodgien, nom pourtant créé à une période récente. Ce personnage aurait épousé une indigène nommée Lieou-Yé ou Soma avant de régner. Le fait de rechercher les racines d'une civilisation à l'extérieur n'est pas rare. Souvent on rattache la famille régnante à des dieux comme c'était le cas de la Grèce antique. L'Iliade, épopée attribuée à Homère, relate les épisodes glorieuses de la fameuse guerre de Troie qui s'était terminée par la victoire des Grecs, sous la haute protection et même avec la participation des dieux de l'Olympe. Nous pouvons encore en citer deux autres :
- Les origines de Rome. Les Romains, pendant une longue période donnaient la paternité de leurs dirigeants et d'eux-mêmes, à Enée et ses soldats qui auraient pu quitter la ville de Troie en flamme avant la victoire de l'armée grecque. Virgile, à l'instar de Homère a écrit l'Énéide poème épique relatant l'Odyssée d'Enée et de son armée depuis le départ de Troie jusqu'aux rivages de Rome.
- Les Francs et la France, "il est généralement admis que la légende des origines troyennes formée au VIIè siècle fut utilisée jusqu'à la deuxième moitié du XVIè siècle"(1). D'après cette légende un certain Francion, éponyme de France, fils d'Hector, donc neveu d'Enée, aurait pu quitter aussi la ville de Troie en flamme avec 12. 000 hommes et se serait installés quelque part entre le Danube et le Rhin. Puis un descendant de Francion, Marcomir marié à une indigène, comme Kambu, devient roi et a un fils nommé Gallus éponyme tout désigné de Gaule etc.
Après le XVIè siècle, les recherches historiques sérieuses finissent par rejeter ces légendes, et émerge l'identité culturelle des gaulois que Braudel fait remonter à un millénaire avant notre ère".
Pour revenir au Cambodge, nous désirons verser quelques faits qui sont en faveur de l'origine indigène de la culture khmère. Nous pensons qu'il est plus plausible de penser que la civilisation angkorienne prend ses racines dans la culture de bronze et du fer, de Melou Prei, de Long Prao et de Samrong Sèn. En effet, d'après B.P. Groslier : "Il est encore nécessaire de dire quelques mots des premiers habitats dans la pleine de Siem Reap, parce qu'ils ont, en partie pesée sur son développement. Contrairement à une opinion reçue - sans qu'on ait jamais cherché à la fonder - l'occupation de cette zone est très ancienne et remonte au moins au premier millénaire avant notre ère.
Nous avons découvert à Roluos, juste è l'est de l'embouchure du Stung (rivière) et à quelques dizaines de mètres au sud de notre rive archéologique, plusieurs sites : buttes émergées et en leur temps entourées de vases molles. Elles ont livré de rares mais typiques vestiges du même type que ceux de la culture de Samrong Sen (datée à partir de 1 200 AC) et descendant jusqu'au Dongsonien méridional, soit aux alentours de notre ère".
"Au pied du Phnom Bakhèng, en sondant les alentours de Baksei Chamkrong, nous avons découvert un très important habitat de l'Age de fer, dans la même fourchette chronologique que les sites de Roluos et qui appartiennent à la même culture" (2).
De cette origine locale, nous désirons faire le rapprochement avec les faits suivants :
a) A l'époque angkorienne, les khmers avaient développé une technique et un art de bronze, à l'échelle monumentale, (de grande dimension, 2m et plus), unique dans tout le Sud-est Asiatique, sans aucun rapport avec ceux de l'Inde et de la Chine : "Sur le plan des études, la plus importante est qu'il nous faut désormais reconnaître à la sculpture khmère ou khmérisante une universalité, un rayonnement jusqu'à présent insoupçonnés. En dépit de la rareté de témoins actuellement recueillis, force est d'admettre que les modeleurs khmers égalent les plus grands sculpteurs et que les fondeurs furent, durant de longs siècles, des maîtres ès-technique... Toute étude de la statuaire khmère qui, désormais, n'accorderait qu'une image incomplète et mensongère".
"Pour la statuaire, la nouveauté n'est pas moins grande, concernant aussi bien la technique que les sources d'inspiration. Dans le domaine de la technique, le fait le plus marquant est l'importance, jusqu'à présent insoupçonnée, d'un art monumental de bronze alliant aux ressources d'un métier traditionnel des progrès évidents. Pour l'inspiration, la qualité exceptionnelle du modèle révèle que les artistes n'ont pas été seulement les portraitistes officiels qu'on avait déjà reconnus. Passionnés pour les formes vivantes qu’ils ont observées avec une acuité inattendue, ils ont interprété les thèmes les plus classiques avec une originalité, une personnalité que nous retrouveront à aucun autre moment dans l'Asie du sud-est" (3).
b) L'architecture khmère est aussi originale. "Le rapport entre les premiers de ces édifices (khmers) et ceux de l'Inde contemporains ou antérieurs, est loin d'être frappant; privés de leurs images et inscriptions, les textes divers disparus, nul ne songerait à première vue à les rapprocher des temples hindous. Tout au plus sent-on avec ceux-ci un air de famille, d'aucune façon une parenté directe". (H. Parmetier).
c) Les témoignages irréfutables les plus anciens sur l'utilisation du symbole zéro dans la numération décimale de position se trouvent au Cambodge :
- Sous la forme littérale sur l'Inscription du Prasat Roban Ramas (province de Kompong Thom) où la date 520 de l'ère Saka est notée "Kha Dvi Sara" soit "ciel, deux, flèches", ou "zéro, deux, cinq" ce qui correspond à 598 de l'ère chrétienne.
- Sous la forme chiffrée sur l'Inscription de Trapeang Prei (province de Sambor) où l'année 605 de l'ère Saka est notée ce qui correspond à 683 de notre ère.
Nous voulons rappeler ces faits pour apporter les premiers éléments de réponse à une question cruciale pour nous, Cambodgiens : la civilisation angkorienne est-elle l'oeuvre de nos ancêtres, les khmers, avec une influence religieuse venue de l'extérieure au même titre que la civilisation médiévale en France, influencée par une religion venue du Moyen Orient ?, ou l'oeuvre des immigrants indiens avec seulement le concours de la main-d'oeuvre locale ? Une telle civilisation suppose l'existence pendant près d'un millénaire d'une armée permanente de penseurs, de philosophes, de savants, d'ingénieurs, d'architectes, de sculpteurs, de peintres, de techniciens etc. Sont-ils khmers ou étrangers? Il appartient à nos historiens de répondre avec plus d'exactitude. Mais les faits ci-dessus mentionnés ne montrent-ils pas déjà que ces monuments reconnus unanimement comme parmi les plus importants de la civilisation mondiale, sont des créations du génie du peuple cambodgien ? La marque de nos ancêtres ne se trouve-t-elle pas dans les faiblesses techniques même de ces constructions ? Le système d'irrigation, avec ses succès, mais aussi avec ses échecs, système qui sous-tend sans conteste la puissance et la splendeur d'Angkor, a-t-il été conçu et exécuté par des cerveaux étrangers ou indigènes ? B. P. Groslier le résumait "Il est clair que la cité hydraulique angkorienne fut un système d'exploitation de l'espace admirablement adapté au pays qui a permis l'essor puis le triomphe de cette civilisation. Elle est parvenue non moins évidemment à peine aux deux tiers de son histoire à une sorte de blocage sur elle-même qui l'a finalement condamnée à l'asphyxie".
Si nous insistons sur ces faits, c'est que beaucoup de nos compatriotes, même parmi les plus instruits, les bâtisseurs d'Angkor sont à rechercher parmi des extra-terrestres ou tout au moins parmi des "envahisseurs pacifiques" venus de l'extérieur, plus particulièrement de l'Inde. L'Inde qui ignorait jusqu'à l'existence de notre civilisation il y a seulement moins d'un siècle et qui actuellement s'allie au régime de Hanoï pour exterminer notre culture. Il existe malheureusement encore de nos jours un certain nombre de nos compatriotes heureusement peu nombreux, qui continuent à croire que leurs ancêtres venaient de l'Inde il y a deux mille ans. Nous ne sommes pourtant plus au Moyen-Age.
Ainsi, rendre à notre peuple la paternité entière de sa civilisation, celle d'Angkor c'est lui donner confiance dans ses racines; c'est avoir confiance en nous-mêmes, en nos capacités pour affronter l'avenir; c'est nous rendre capables de penser par nous-mêmes; c'est nous sentir responsables de tous les maux dont souffre notre peuple, même de ceux dont nous n'en sommes pas les causes directes; c'est savoir déterminer avec un haut sens de responsabilité, les intérêts immédiats et à long terme de notre nation et ainsi nous rendre capables d'agir par nous-mêmes, de les défendre; c'est savoir déterminer qui sont nos alliés stratégiques et qui sont nos alliés tactiques; c'est savoir accorder les intérêts de nos amis et alliés avec les besoins de la lutte de notre peuple; c'est ne pas attendre notre salut principalement de l'étranger et encore moins du ciel ou d'hommes providentiels.
Ainsi notre identité nationale date de la culture de Samrong Sen, soit de 1 200 ans A.C. C'est-à-dire que nous héritons d'une culture de plus de 3 000 ans d'âge. Angkor en est le symbole incontournable, il concrétise notre sentiment national, il forge notre conscience nationale. Sa silhouette se trouve sur les drapeaux de toutes les tendances de la résistance. A ce sujet, nous désirons faire deux remarques sur le drapeau du régime fantoche de Phnom Penh, car il contient les marques de la suzeraineté de Hanoï :
1) Les cinq tours d'Angkor sont disposés sur les quatre sommets d'un carré, le cinquième, le plus haut occupe le centre. Ce qui fait que de face on n'en voit que trois. C'est Angkor avec trois tours qui est représenté symboliquement partout. Hanoï tient à faire figurer les cinq tours de face pour être en accord explicitement avec les cinq branches de l'étoile de son drapeau.
2) Les tours d'Angkor ont la forme et les dimensions en parfaite harmonie avec l'ensemble de l'édifice. Les drapeaux nationaux respectent ce critère. Les tours du drapeau du régime de Phnom Penh ressemblent à des cheminées d'usines, sans aucune harmonie avec le reste et de plus ils sont coiffés d'un toit pointu à la mode de Hanoï. Aucun Cambodgien n'aurait choisi de dessiner une chose aussi laide et aussi peu en rapport avec le sens artistique de notre peuple.
Ce drapeau ne peut être conçu et dessiné que par des hauts dirigeants du Parti Communiste Vietnamien dans le but bien clair de marquer sa domination sur notre pays et de fausser notre héritage culturel.
L'ABANDON D'ANGKOR
ET LE SENTIMENT NATIONAL CAMBODGIEN.
On a souvent avancé deux raisons pour expliquer le déclin de la civilisation angkorienne :
1. L'énormité des constructions qui a épuisé le peuple. Ainsi Angkor qui est le symbole de notre nation serait aussi la cause de son déclin. On n'a jamais émis une telle conséquence pour les grandes constructions du mande antique, ni pour les cathédrales médiévales. Toute construction d'une telle importance requiert premièrement un surplus alimentaire suffisant pour nourrir les bâtisseurs de toutes les catégories, deuxièmement un minimum de stabilité et d'entente au sein de la société pendant une période qui dépasse en général 50 ans pour la mener à bien. De nos jours aucun pays ne peut envisager d'élaborer un projet pour une si longue période. Les peuples ne construisent que ce qu'ils sont en mesure de faire. Si les Khmers ont construit des édifices monumentaux et réalisé des statues de bronze non moins monumentales, c'est qu'ils étaient en mesure de le faire et nous devons en être fiers. Sans ces témoignages prestigieux, il est difficile d'unifier notre mémoire collective.
2. La religion bouddhique haniyana (petit véhicule) qu'aurait adoptée le peuple, las des constructions au-dessus de ses forces. Au Cambodge il n'y a jamais eu de guerre de religion et la tolérance religieuse est traditionnelle. Au XIXè siècle, les catholiques européens et vietnamiens ne se réfugiaient-ils pas chez nous quand ils étaient persécutés au Vietnam ? D'autre part la religion bouddhique est un des remparts qu'utilise le peuple pour de défendre contre les ingérences étrangères. La Pologne actuellement n'utilise-t-elle pas la religion catholique pour lutter contre le protectorat soviétique ? En Cochinchine Française, pour vietnamiser le pays, n'a-t-on pas commencé par détruire les pagodes ? Pendant la période coloniale et actuellement contre les occupants nord-vietnamiens, la pagode n'est-elle pas un des foyers de la lutte émancipatrice ?
Ces deux raisons, en quelque sorte masochiques, invoqués par certains historiens sont de véritables chevaux de Troie dans notre système de défense mentale que constituent nos pensées subjectives et notre perception de notre passé. Elles fourvoient notre raisonnement, nous empêchent de voir clair en nous-mêmes et d'avoir confiance en notre avenir.
Nous ne nous attardons pas sur les causes externes. Dans les relations internationales, la loi du plus fort est toujours la meilleure, les forts dominent toujours les faibles; nous ne voyons pas le moindre signe de changement dans un avenir prévisible. La recherche des causes internes est donc fondamentale, car elles dépendent de nous et nous avons peut-être des moyens pour y remédier. A notre avis, le déclin d'Angkor est dû essentiellement à deux facteurs :
1) Les conséquences inhérentes au système d'irrigation mis en place (B.P. Groslier) (2).
2) Les Khmers n'ont pas su ou pas pu établir une loi implicite et explicite qui règlerait d'une façon pacifique et satisfaisante le problème de la succession des rois, à l'instar, par exemple, de la loi Salique, loi qui avait permis à la France d'avoir une stabilité dynastique pendant huit siècles. L'absence d'une loi similaire rendait, chez nous, des guerres intestines inévitables, à la mort de chaque roi; c'est là, l'autre volet de la fragilité de notre société. C'est dans ce sens que B.P. Groslier a écrit, pour expliquer notre déclin : outre l'aspect purement technique, hydraulique et agricole, s'y ajoutent des données politiques, sociales, religieuses qui contribuaient à le précipiter. "or ces dernières ont dû jouer leur rôle, parfois déterminant. Il n'est pas besoin de s'étendre, par exemple, sur les conséquences d'un règne brutalement interrompu, d'une lutte pour le pouvoir (or l'histoire angkorienne ne manque pas ni de l'un ni de l'autre cas...)".
Ces guerres intestines incessantes font que beaucoup de nos compatriotes continuent encore de nos jours à identifier la compétition normale pour le pouvoir, à une lutte pour la succession au trône. Cette vision les oblige à raisonner en chefs de clans ou en membres serviles d'un clan qui obéissent obséquieusement au bon plaisir de leur chef. Pourtant chaque clan compte sur le sentiment national de notre peuple pour le porter au pouvoir. Cette cécité politique empêche jusqu'à présent nos hommes politiques au pouvoir d'étayer le sentiment national populaire par une structure d'un embryon d'Etat national pour concrétiser la solidarité nationale et pour fédérer toutes les tendances politiques et religieuses du pays.
LE CAMBODGE
APRES L'ABANDON D'ANGKOR
COMME CAPITALE
Avoir le sentiment national, c'est quand on se sent appartenir à une entité culturelle historiquement constituée.
Avoir la conscience nationale, c'est quand on se sent motivé pour se battre contre l'ennemi venu de l'extérieur et tout faire pour pouvoir construire quelque chose ensemble de solide pour concrétiser le sentiment national.
Une Nation, c'est quand la conscience nationale finit par se matérialiser en un Etat fédérateur en mesure d'assurer et de réglementer l'harmonisation des intérêts légitimes et fondamentaux des différentes couches et catégories sociales de la communauté. La stabilité d'une nation provient de la possibilité de l'Etat, c'est-à-dire la superstructure, de se modifier et de s'adapter en fonction de l'évolution de l'infrastructure qu'est l'économie, les rapports sociaux et la culture. Pour que cette évolution de l'Etat soit possible, tout en préservant la cohésion nationale, il faut qu'un contre pouvoir interne puisse s'organiser progressivement comme dans les pays de l'Europe Occidentale où une pression venant de l'extérieur comme au Japon sous le règne de Meiji en 1868. Autrement il y aurait rupture, révolte, coup d'état, révolution, invasion étrangère etc. "Le pouvoir arrête le pouvoir" disait Montesquieu. Voici deux définitions plus concrètes :
Les nations ont été "créées graduellement sous des influences diverses, celles de leur organisation originelle, du climat, du sol, de la religion, des lois, des coutumes, des manières, des événements, accidents et incidents extraordinaires de leur histoire et du caractère particulier de leurs citoyens illustres" (Drisaeli dans The Spirit of Wigghism, 1836).
"Une nation est une âme, un principe spirituel (...), c'est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements; avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait de grandes choses ensembles, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple." (Renan dans Qu'est-ce qu'une nation ?", 1882).
A l'époque angkorienne, notre pays était une nation dans toute l'acceptation du terme : une entité territoriale, une langue, une culture historiquement constituée, un peuple uni par un Etat fédérateur et structuré par le système même de l'irrigation adopté, une structure pyramidale ayant pour sommet les Monts Kulen d'où jaillissent les sources des rivières qui l'alimentent. Ce système permettait de pallier les irrégularités naturelles des pluies chez nous, et de rendre possible plusieurs bonnes récoltes de riz par an et en toutes circonstances. Il demandait un entretien méticuleux et permanent, bien organisé et bien hiérarchisé. Le roi, qui en était le chef était apparu comme le plus puissant que la nature, il était donc considéré à juste titre comme un dieu par le peuple, un Deva-Raja (un Dieu-Roi). Ainsi les contraintes imposées par le système d'irrigation avaient constitué de par elles-mêmes un contre pouvoir qui obligeait l'Etat angkorien à bien se structurer pour réglementer d'une façon satisfaisante les conflits d'intérêts de la communauté nationale qui se soudait pour se défendre contre les agressions venant de l'extérieur. La civilisation angkorienne a duré huit siècles malgré les crises profondes et fréquentes provoquées par les luttes fratricides pour la succession au trône. Cette stabilité globale, cette prospérité et cette concentration humaine avaient rendu possibles les constructions des monuments considérés comme parmi les plus prestigieux du monde par leur importance, leur splendeur et leur harmonie esthétique et spirituelle.
Un auteur anglais a écrit un livre remarquable où il faisait un parallèle saisissant entre l'Empire Angkorien et l'Empire Romain, lequel avait duré aussi huit siècles et où Jayavarman VII était comparé à Auguste.
Le système hydraulique adopté, pour des raisons inhérentes au système lui-même (2), ne pouvait durer éternellement. Après une période qui avait conduit l'Empire à son apogée, une évolution inéluctable, indépendante de la volonté des hommes, avait fait que la productivité des terres diminuait. La région s'était dépeuplée comme le constatait Tcheou Ta Kouan en 1296; elle était donc devenue de moins en moins défendable. Finalement le roi et sa cour avaient dû la quitter définitivement en 1432.
L'économie angkorienne était extrêmement concentrée, après son apogée, elle s'était décentralisée progressivement. Jayavarman VII avait probablement compris le problème et essayé d'y remédier en construisant de nombreuses routes économiques certainement qui sillonnaient le pays avec quelques 121 gîtes pour accueillir les voyageurs et faciliter les échanges. Pour entretenir un tel réseau, il aurait fallu aussi un Etat plus décentralisé. Ce n'était pas le cas.
L'histoire de notre pays, après le déplacement de la capitale d'Angkor, centre de production intensive, vers la région de Phnom Penh, centre de communication, peut se résumer en une lutte qui dure jusqu'à nos jours entre une super structure étatique qui s'y accroche à un système de pouvoir pyramidal révolu et bien révolu, et la réalité de l'infrastructure économique et sociale exigeant une décentralisation qui favorise la production marchande. L'instabilité permanente causée par les luttes intestines pour la conquête illusoire du "Trône de Deva Raja" dépassé, quelle que soit la dénomination qu'on se donne, n'avait pas permis et ne permet pas encore, jusqu'à présent à un pouvoir, ni à un contre pouvoir de s'organiser au sein d'un Etat National comme en Thaïlande par exemple. Notre drame se joue autour de cette trame léguée par notre histoire.
DATES ET ÉVÈNEMENTS
AYANT UN RAPPORT AVEC NOTRE HISTOIRE
Pour mémoire nous désirons soumettre quelques dates repères :
3. 1276-1292 Marco Polo en Chine.
4. 1432 Angkor n'est plus la capitale du Cambodge.
5. 1511 une flotte portugaise aux ordres d'Albuquerque prit la ville de Malacca dans la péninsule malaise.
6. 1519-1521 premier voyage circumterrestre commencé par Magellan.
Désormais on ne peut plus étudier notre histoire ainsi que celle du Sud-Est Asiatique et de l'Asie entière sans tenir compte de la présence et de l'intervention des Européens mieux organisés, mieux armés, ayant une suprématie sans conteste au point de vue scientifique et technique et qui défendaient leurs intérêts spécifiques individuels ou nationaux. Certains événements resteraient incompréhensibles si on ne les liait pas aux conflits dans la lointaine Europe. L'Histoire devient planétaire.
7. 1521-1335 les Anabaptiste, secte allemande d'inspiration chrétienne, formé en Saxe vers 1521, animait la guerre des paysans en Allemagne du Sud. Ils furent écrasée une première fois en 1525. Les survivants, sous la direction de Jean de Leyde réussirent à occuper Münster et sa région où ils formèrent un royaume égalitaire et communautairee où la monnaie fut bannie (1532-1535). Ce fut en réalité un régime autocratique, répressif et féroce qui finalement fut rejeté par ses adeptes. Ils durent capituler et supbirent un traitement sauvage et radical.
8. 1527-1802 le Dai-Viet en chinois Grand-Viet est divisé en deux :
ü Au Nord les Trinh continuaient à appeler son pays Dai-Viet, choisissaient comme capitale Hanoï, ville fondée par les chinois au VIIIè siècle.
ü Au Sud les Nguyen élisaient leur capitale à Huê. Son pays se nommait Nam-Viet. Les formes de relation qu'avaient ces derux derniers pays avec la Chine restent à préciser. Elles varient avec les aélas de l'histoire de cette dernière. En effet, les Empereurs de Chine n'administraient pas toujours la totalité de l'empire; à différentes périodes, des souverains réussirent à se débarrasser de la tutelle du pouvoir central et se sont partagés provisoirement de multiples royaumes et principautés plus ou moins vassaux de l'Empereur de Chine.
· 1593 prise de Lovêk par une armée siamoise.
· 1594 reprise de Lovêk par Reamea Prei, qui se faisait couronné Roi.
· 1596 Reamea Choeung Prei fut assassiné par un commando dirigé par Diégo Belloso et Blas Ruiz.
· 1627 le père Alexandre de Rhode débarque dans la région de Huê. Cette région était connue des Européens sous la dénomination de Cochinchine. Ce nom proviendrait problablement de Cachu-China qui désignait sur les cartes du XVIè siècle la partie du territoire située au sud de la Chine, laquelle partie s'étendait jusqu'au Champa. Cachu est problablement la déformation de Canton ou Guangzhou, ville et province du sud de la Chine. Ainsi Cochinchine ne représentait pas une région, ni un pays déterminé. Au milieu du XIXè siècle ce nom fut donné à la partie qui se trouvait au sud de la ville de Huê. Finalement, c'est l'époque coloniale qui a sanctionné ce nom en désignant sa nouvelle colonie "Cochinchine Française" avec son entité territoriale constamment en expansion au détriment du Cambodge alors protectorat (4).
· 1650 le P. A. de Rhode avec la collaboration d'autres pères européens, invente le Quoc Ngu, une transcription de la langue vietnamienne avec l'alphabet latin, détachant cette dernière de la transcription en idéogramme chinois, écriture qui est une des bases de l'unité de la Chine. En effet, la Chine n'avait pas l'unité de la langue parlée. A la fin du IIIè siècle avant J.C., l'Empereur Chin Shih Huang Ti a unifié la Chine pour la première fois et l'a doté d'une écriture idéographique unifiée.
· 28 avril 1767 prise et destruction définitive d'ayutthya par les Birmans après un siège de 14 mois. Le Roi Boromoraja périt au combat. Ayutthya cesse d'être la capitale du Siam. Quelques moins après, le général Taksin, de père chinois de Canton, a pu s'échapper avant la chute de la ville, leva une armée, battit partout l'armée birmane et se fit prolamer roi la même année sous le nom de Phaya Tak. Il choisit de résider à Bangkok et en fit sa capitale.
· 1782 le plus brillant des généraux de Tak, Chao Phya Chakri, élevé au rang de Prince Royal en 1777, se fit proclamer Roi sous le nom de Râma 1er. Ce fut le premier d'une dynastie qui a donné déjà plus de deux siècles de paix et de stabilité à la Thaïlande qui a pu ainsi devenir progressivement maintenant une nation moderne dans toute l'acceptation du terme.
· 1802 avec l'aide du Siam et du Cambodge et aussi celle de Mgr Pigneau de Behaine et un groupe d'officiers et de soldats français, Nguyen Anh, dernier descendant des Nguyen, a pu réunifier le Dai Viet au nord et le Nam Viet au sud, et se fit proclamer Empereur sous le nom de Gia Long.
· 1804 l'empereur de Chine lui remit le sceau et le décret chinois attribuant le nom officiel de Viet Nam au nouveau pays. Viet Nam est peut être une simple inversion de Nam Viet, nom adopté par les premiers Nguyen. C'est aux sinologues de répondre. Gia Long adopta le code chinois qui administrait le pays jusqu'à la période coloniale. Lui et ses successeurs adoptaient la politique extérieure de son suzerain la Chine.
· 1813-1818 rédaction du texte le plus ancien connu de notre histoire nationale par Vonsa Sarpec Non, guru (précepteur) de Ang Duong.
· 1834 un important corps expéditionnaire de Huê occupait notre pays et à la mort du roi Ang Chan II, les occupants mirent sur le trône une jeune princesse un peu timorée, Ang Mei, qui mourra folle vers 1878.
· 1835 commencement du mouvement de résistance contre les occupants, rendant leurs positions intenables.
· 1840 Ang Em, l'aîné d'Ang Duong, se laissait prendre aux promesses de Huê et se rendit à Phnom Penh. Il y fut très bien reçu par le général ennemi. La population, qui pensait trouver la délivrance en Ang Em, l'acclama. Mais la nuit venue, l'ennemi le fit enfermer dans une cage de fer et le fit transporter à Huê.
· 1840-1846 soulèvement général du peuple cambodgien qui finit par détruire les 50 forteresses construites par l'ennemi sur notre sol et libérer totalement notre pays. Rappelons que l'armée de Huê était entraînée à l'européenne et qu'elle savait construire des forts à la Vauban et utiliser des armes à feu de tout calibre. Le peuple cambodgien utilisait principalement des armes blanches.
· 1846 Ang Duong fut couronné Roi du Cambodge. Il n'y avait plus un seul soldat étranger chez nous. Il restait seulement environ un millier de ressortissants vietnamiens.
· 1859 répondant à une provocation de Huê, Ang Duong envoya une armée sous le commandement du général Kêp; celui-ci mit en déroute l'armée ennemie et la poursuivit profondément loin de nos frontières.
· 1859 mort d'Ang Duong.
· 1863 signature à Oudong du traité de protectorat. (En ce qui concerne l'histoire de notre pays après 1863 nous recommandons la lecture de la thèse de Khy Phanara) (5).
· 1840 - 1842 guerre de l'opium de l'Angleterre contre la Chine.
· 1850 - 1864 révolte des Taï-Ping. Une révolte à l'échelle du continent chinois. Elle dénote la faiblesse de la dynastie mandchoue devant l'arrivée en force des Européens. Elle marque aussi le reveil de la conscience nationale chinoise. En s'inspirant du christianisme, les Taï-Ping voulaient, comme les Anabaptistes en Allemagne au XVIè siècle, instaurer une société, communautaire et égalitaire qui déboucha immanquablement, en réalité, à une société autocratique, répressive et féroce. Les sociétés organisées spontanément par les Anabaptistes et les Taï-Ping sont celles dont rêvent les paysans vivant sous un régime féodal, quelles que soient leurs motivations exprimées explicitement. Les Chinois, actuellement admettent que la Révolution Culturelle reflétait la mentalité encore féodale de la société chinoise, plus particulièrement dans la paysannerie.
RÉPERCUSSIONS :
1) Des bandes armées, rescapées des armées Taï-Ping continuaient à se battre jusque vers le milieu des années 1880. Le corps expéditionnaire français se battait au Tonkin à la fois contre l'armée chinoise et contre ces rescapés resurgis sous la dénomination de "pirates" en particulier ceux bien connus sous le nom de "Pavillons Noirs".
2) Cette révolte montre que la paysannerie recèle un potentiel militaire considérable. Mao va l'utiliser à fond et aboutira à la proclamation de la République Populaire de Chine en 1949.
3) Elle a entraîné une émigration massive des Chinois dans le Sud-Est Asiatique dont profitaient certains pays comme la Thaïlande, et aussi partout dans le monde comme aux USA où ils furent embauchés à la construction des chemins de fer.
· 9 juin 1885 Traité de Tien-Tsin, par lequel la Chine renonce à sa suzeraineté sur le Vietnam et reconnaît le protectorat français sur ce pays. Pour la première fois le Tonkin a une frontière internationale avec la Chine et elle est en faveur du Tonkin.
2/. Histoire de la prise de conscience nationale au Cambodge
Le Cambodge, la Chine et le Vietnam
Tout d'abord quelques mots sur la Chine et le Vietnam, deux facteurs incontournables dans tout problème concernant l'avenir de notre pays. Dans notre histoire, on a beaucoup parlé, même trop parlé de l'Inde qui, nous le répétons, est actuellement l'alliée de Hanoï. C'est pourtant avec la Chine que nous avons les témoignages les plus anciens concernant nos relations avec l'étranger. Les archives chinoises possèdent ces précieux documents et ils datent du début de notre ère. Nous apprenons que des érudits cambodgiens étaient allés en Chine et que des envoyés et commerçants chinois étaient venus chez nous. Il est probablement très utile pour nous de chercher à préciser les interactions entre nos deux cultures et civilisations.
Il est aussi très important pour nous d'avoir des aperçus plus précis et plus conformes à la réalité sur l'histoire des relations entre la Chine et le Vietnam, histoire complètement déformée par certains. Elle influe sur notre appréciation de la puissance de la République Socialiste du Vietnam (RSV). En effet, contrairement à ce qui est souvent écrit, les faits montrent que, mise à part l'époque coloniale, le Vietnam ne trouvait sa puissance et sa plénitude que durant les périodes où s'établissaient des relations non conflictuelles avec son voisin du nord, comme c'était le cas, en particulier, au XIXième siècle avant la colonisation.
Après la deuxième guerre mondiale, c'était l'arrivée des troupes de la République Populaire de Chine (RPC) aux frontières du Nord-Vietnam en 1949, qui avait permis aux forces du Parti Communiste Vietnamien (PCV) de tenir tête au corps expéditionnaire français. Sait-on que l'établissement du campo retranché de Dien Bien Phu a été ressenti par la Chine comme une provocation ? Sait-on que c'était la Chine que avait, pour ainsi dire, forcé la décision de l'attaquer ? Sait-on que c'était la Chine qui avait assuré la logistique de l'opération presque jusqu'en première ligne ? Sait-on que c'était la Chine qui avait réglé les dispositifs de combat, y compris, par exemple, les manières de disposer les batteries de canons, qui avaient joué un rôle extrêmement important dans la victoire finale ? Il n'est pas dans nos intentions de mettre en doute l'héroïsme des combattants des deux bords. Le sort de la bataille était décidé d'avance par une faute d'appréciation stratégique du haut commandement français qui ne tenait pas compte des liens historiques entre la Chine et le Vietnam, faute perçue et exploitée judicieusement par l'Etat-Major chinois. La Chine de 1949 n'était plus celle des années 1880. Ainsi Giap n'était pas réellement le véritable vainqueur de Dien Bien Phu.
Durant la guerre contre les USA, en particulier contre l'aviation américaine, des escadrilles d'avions pilotés par des Nord-Coréens participaient à la défense de Hanoï, et des ingénieurs et officiers chinois participaient à la reconstruction des ponts détruits et assuraient le transport du matériel de guerre et des vivres par terre et par mer jusqu'à Hanoï et Haïphong malgré les bombardements et le minage des eaux territoriales du Nord-Vietnam.
L'Amérique a finalement compris l'adéquation du problème en amorçant sa politique de rapprochement avec la Chine en 1972, pour tenter de trouver une solution qui garantirait la stabilité, la paix et la prospérité de la région tout en respectant l'indépendance et la souveraineté de chaque nation. C'était le Watergate qui avait paralysé les USA et qui les avaient empêchés d'utiliser leur puissance pour faire respecter les accords de Paris.
Alors, première faute du PCV, surestimant ses forces après la conquête du Sud-Vietnam en 1975, il se crut en mesure de faire la loi dans le Sud-Est Asiatique avec l'aide de l'URSS et de commencer, pour cela, par conquérir tout d'abord le Cambodge. Ce faisant, il entra en conflit avec le pays où précisément et historiquement il puisait sa force et d'où il la détenait. La Chine ne pouvait pas ne pas réagir.
En effet elle était déjà menacée directement par l'URSS au nord et à l'ouest. Elle avait des problèmes épineux avec sa voisine du sud-ouest, l'Inde. Elle n'avait donc pas intérêt à avoir à ses frontières du sud-est une RSV alliée militairement à l'URSS. Elle s'oppose donc à la stratégie de la "Fédération Indochinoise", formulée, contrairement aux réalités historiques, dès sa formation en 1930, par le Parti Communiste Indochinois alias PCV, parti enfanté par l'URSS.
Par ailleurs, la R. P. de Chine sait cultiver l'amitié, y rester fidèle et tenir ses engagements. Le Cambodge fut l'un des premiers pays à nouer des relations diplomatiques avec elle. De plus pour obtenir l'autorisation de faire transiter ses armes pour le PCV à travers notre pays vers la fin des années 60, elle s'était engagée à préserver notre indépendance, notre souveraineté et notre intégrité territoriale. La Chine a une dette morale envers notre nation. Donc stratégiquement et moralement, la Chine est obligée de soutenir la lutte du peuple cambodgien.
Deuxième faute du PCV : La RSV est le résultat de la conquête du Sud par le Nord. Le Vietnam avec les frontières actuelles n'a jamais existé avant 1975. La RSV est un Etat et une nation en formation. Elle n'a pas encore de structures bien solides. Le conflit avec la Chine et la résistance acharnée de notre peuple ne peut qu'accentuer cette fragilité. De plus, en rejetant sa population d'origine chinoise, la RSV se prive d'une partie des éléments les plus actifs et les plus dynamiques de son peuple. Ces éléments sont donc nos alliés potentiels. Par contre notre peuple a reçu un héritage culturel suffisamment fort et attractif pour qu'une grande majorité de notre population ayant des antécédents chinois se soit sentie entièrement khmérisée dès la première génération. Nous les appelons les "Kaune Chao Chen" (descendants chinois). Ils constituent les agents les plus actifs et les plus efficaces dans la production marchande, dans le développement économique et urbain de notre pays. L'on sait que les villes sont les piliers indispensables d'une nation. Cette partie intégrante de notre peuple joue donc déjà un rôle extrêmement important dans la lutte actuelle, et encore plus, future, dans la reconstruction nationale après la libération. Cet aspect de notre problème est un atout pour nous si nous savons en tenir compte. Il peut inciter la population d'origine chinoise, au Vietnam, à lutter encore plus résolument contre le régime inique imposé par le PCV. Le rapprochement entre la R.P. de Chine et Taïwan est aussi une contribution à favoriser cette tendance. Alors que le rapprochement entre, d'une part la Chine et, d'autre part, la Thaïlande, ses partenaires de l'ASEAN et les USA, contribue à rendre l'aide soviétique à la RSV de plus en plus inopérante.
Troisième faute du PCV : Déformant sa propre histoire et la nôtre, voulant profiter des erreurs criminelles du PCK (Parti Communiste du Kampuchea), il croyait que le peuple cambodgien serait incapable de lui résister.
Ainsi, en tenant compte de l'histoire et du rapport des forces dans le contexte régional et planétaire de nos jours, la seule politique raisonnable et réaliste pour un Vietnam indépendant, souverain et prospère, est le respect de l'indépendance et de la souveraineté du Cambodge et du Laos, première étape indispensable pour un retour à une politique d'amitié réelle et durable avec la Chine et es USA.
LE CAMBODGE CONTEMPORAIN
ET LE PROBLÈME NATIONAL
Le sentiment national de notre peuple est toujours très fort et ne s'est jamais démenti au cours de notre longue histoire. Aucune armée étrangère n'a jamais pu dominer durablement notre pays, sauf pendant la période coloniale. Malheureusement, à quelques rares exceptions près, nos personnalités placées aux postes de commandement, quelle que soient leur origine sociale et la forme apparente qui qualifient leur régime, se conduisent comme des Deva Raja (Dieu-Roi) de l'époque angkorienne, en contradiction désastreuse avec le niveau du développement de notre économie, culturel et social de notre peuple.
Vu notre héritage historique, notre situation géographique et le contexte international actuel, il est exclu que nous puissions un jour disposer d'une longue période de paix et de sécurité pour construire à loisir notre Etat national, comme, par exemple, la Thaïlande qui a pu disposer de plus de deux siècles. Il nous faut donc le faire tout en luttant contre l'ennemi. Pour cela, il nous faut d'abord en prendre conscience. Puis la situation ne nous est pas spécifique. L'histoire montre qu'en règle générale les nations se forment en s'opposant à l'agression venant de l'extérieur. C'est leur capacité d'organiser la résistance qui leur donne le droit de vivre ou non. Par exemple, la France et l'Angleterre, les plus anciennes nations du monde se sont formées en s'opposant l'une à l'autre. Pour la France, après la lutte contre l'Angleterre durant la Guerre de cent ans, elle devait se retourner contre les agressions conjointes des Habsbourg d'Autriche et d'Espagne qui l'encerclaient. Alors pour la première fois les catholiques et les protestants se virent obligés de s'unir sous le règne de Henri IV qui, avec Sully jeta les premières bases d'un Etat fédérateur des intérêts économiques, seule façon de résister efficacement à l'ennemi étranger. Ainsi, qu'on le veuille ou non, il nous faut construire notre Etat national ou disparaître. C'est la seule arme stratégique pour notre survie. Le problème est d'en accélérer le processus et de procéder le plus en douceur possible pour nos compatriotes.
Mais comment pourrait-on le faire si on n'en avait pas déjà une certaine idée, une certaine image pour inspirer le travail et les activités de chacun d'entre nous ? A cet égard ayons à l'esprit qu'une nation se justifie par son histoire et que celle-ci est étroitement liée à celle de ses hommes illustres, comme le notaient si judicieusement Disraeli et Renan. Or, d'une part, elle est faussée pour la simple raison que peu d'entre nous s'en occupe, d'autre part, elle est particulièrement anonyme, mis à part les noms des rois. Pourtant combien a-t-il fallu de généraux, d'hommes d'Etat, de penseurs, de juristes, de philosophes, d'historiens, d'écrivains, de poètes, de compositeurs, de techniciens, d'ingénieurs, de scientifiques, de mathématiciens, etc... pour que notre pays existe jusqu'à ce jour ? Il appartient à nos historiens de les exhumer, de peupler notre mémoire de leurs mérites et de leurs exploits, et de rendre vie à notre histoire nationale. D'ores et déjà, nous essayons de combler en partie cette lacune dans le bref aperçu ci-dessous.
· 1813-1818 : Vonsa Sarpec Non rédige le texte le plus ancien de notre histoire nationale à notre connaissance, dès lors le plus précieux pour nous quelles qu'en soient les imperfections.
· 1834 : Occupation de notre pays par Huê.
· 1835 : Commencement de la résistance nationale.
· 1840-1846 : Soulèvement général, populaire et à caractère national contre les troupes de Huê, soulèvement qui permet à Ang Duong de régner sur un pays débarrassé de toute présence militaire étrangère.
· 1846-1859 : Ang Duong instruit et conseillé par son précepteur Vonsa Sarpec Non, réorganisa l'armée, l'administration, l'Etat et l'économie du pays dévasté par la guerre. Il rétablit les communications et fait construire la route Phnom Penh-Kampot. 1859 mort d'Ang Duong.
· 1863 : Traité de protectorat signé à Oudong.
· 1885-1886 : Soulèvement à caractère national contre la vietnamisation à outrance de notre pays.
· 1930 : Après la fondation de l'Ecole Supérieure de Pali, création de l'Institut Bouddhique.
· 1935 : Le Collège Sisowath ouvre plus ouvertement ses portes à nos compatriotes.
· Pour la première fois dans deux établissements scolaires, grâce à la connaissance de la langue française, des Cambodgiens peuvent avoir accès à la culture et à la pensée française et aussi mondiale, c'est-à-dire à la mémoire collective de l'Humanité.
· Dans ce qui suit nous ne citerons que les noms de nos compatriotes qui ne sont plus là pour témoigner. Nous souhaitons que ceux d'entre-nous qui ont participé, qui étaient témoins ou qui directement ou indirectement possèdent des informations sur les événements relatés, donnent leur version des faits qui font partie maintenant de notre histoire et ravivent aussi notre mémoire collective. Nous serions très heureux et honorés de les publier dans notre revue.
· 1938 : Un groupe d'anciers élèves du Collège Sisowath, de l'Institut Bouddhique et d'anciens bonzes dont les plus connus, toutes tendances confondues, sont Pach Chhoeun, Song Ngoc Thanh, Achar Hèm Chieu, Boun Chan Mol créent le journal Nagaravata (Angkor Vat en pali). Ils publient des articles reflétant des idées et des pensées nationales, collectent des fonds pour permettre à nos compatriotes peu fortunés de continuer leurs études secondaires et supérieurs à Saïgon, à Hanoï et en France. Nous n'avions alors ni lycée ni université.
· 1942 : Révolte populaire connue sous le nom de Révolte des Bonzes contre les exactions coloniales. Pour la première fois des intellectuels formés dans des écoles créées par le pouvoir colonial participent à une telle manifestation. Elle est suivie par des emprisonnements et par la déportation à Poulo Condor de Pach Chhoeun, Boun Chan Mol et Hèm Chieu. Ce dernier devait y mourir.
· 2 septembre 1945 : Le Japon capitule.
· 7 janvier 1946 : Signature du "Modus Vivendi" entre le Cambodge et la France.
· Février 1946 : Des intellectuels de formation universitaire rentrèrent de France. Avec les anciens du groupe Nagaravata, ils formèrent le Parti Démocrate dont la figure de proue était le Prince Sisowath Yuthévong. Iev Koeus en était l'animateur le plus populaire. Yuthévong, atteint d'une maladie difficilement curable à l'époque, savait parfaitement qu'il abrégerait sa vie en rentrant au pays natal pour affronter les dures batailles politiques qui l'attendaient. Il devait mourir le 18 juillet 1947. Il fait un grand ami de Léopold Senghor, qui s'en est toujours souvenu, en faisant du lointain Sénégal, un ami dans toutes les épreuves qu'à traversées et que traverse encore notre pays. Quant à Iev Koeus il devait mourir, assassiné le 14 janvier 1950.
Le comité directeur du Parti Démocrate, dès le début de sa constitution, sur la proposition du Prince Norodom Phurissara a adopté comme devise les trois mots : "Cheat, Sasna, Mahaksat" (Nation, Religion, Roi). Pour la première fois dans notre histoire, figure explicitement et fièrement dans un mot d'ordre, le mot Nation et il y figure en premier. Le Parti Démocrate concrétisait la convergence des aspirations de tout un peuple de transformer sa soif du savoir en un mouvement à l'échelle nationale pour la construction des écoles et des collèges, répétant ainsi le slogan de la révolution française: " la nation a besoin de savants ". Tous les Cambodgiens, du fin fond de la campagne jusqu'aux centres urbains, se mirent à construire des établissements scolaires, à leurs frais et à la sueur de leur front. Le nombre d'élèves décupla en quelques années.
D'emblée, le peuple a compris ce qui nous manquait c'était le savoir, l'accès à la mémoire nationale et à la mémoire collective de la planète. Il a senti que c'est parmi ses enfants instruits que se recruteront les futurs dirigeants de la nation.
La quasi-totalité des intellectuels et des lycéens étaient membres ou sympathisants du Parti Démocrate. Quelques que furent ses fautes et les comportements peu honorables de certains de ses membres, ce parti a joué un rôle extrêmement important dans la mobilisation générale: intellectuelle, morale et politique du peuple dans la lutte pour l'Indépendance Nationale. Il a obtenu les trois quarts des sièges aux trois élections avant l'Indépendance: 50 sièges sur 67 à l'assemblée constituante (1er septembre 1946), 54 sur 74 et 54 sur 78 respectivement aux élections législatives de novembre 1947 et de septembre 1951. A chaque fois, les députés démocrates réclamaient le retour à l'indépendance. La première assemblée fut dissoute le 18 septembre 1949, la seconde le 15 juin 1952.
C'était pour protester contre la dissolution de la première assemblée législative nationale démocratiquement élue de notre histoire que fut déclenchée la première manifestation monstre des jeunes écoliers et lycéens soutenue par ce qu'il y a de pensants au Cambodge. Une section de la jeune Armée Royale Khmère, commandée par un jeune officier, a été dépêchée pour la réprimer. L'officier, nonobstant les ordres, s'adressa à la foule en ces termes: "Jeunes frères et soeurs, n'ayez aucune crainte, nous ne tirerons pas", donnant ainsi une belle leçon de solidarité patriotique. Quelques dirigeants actuels du PCK qui se trouvaient parmi les manifestants ne l'ont malheureusement pas compris.
L'histoire du Parti Démocrate est è écrire, elle constitue une belle page de l'histoire de la nation. Elle est une des clefs pour comprendre la situation présente.
La formation du Parti Démocrate fut le premier balbutiement de la prise de conscience nationale concrétisée des temps modernes. Malheureusement, il n'y avait personne pour la structurer et l'organiser en un parti de combat, ou mieux encore en un parti capable de pratiquer toutes les formes de combat. La raison principale en était probablement le nombre trop restreint de nos compatriotes instruits pour que puissent émerger de telles personnalités.
Nous avons dit que l'histoire d'une nation est illustrée par celle de ses grands hommes. Dans ce qui précède nous avons cité un certain nombre. Nous avons aussi de grands écrivains comme Krom Ngoy par exemple. Nous souhaitons que des chercheurs en exhument d'autres. Il ne faut pas oublier ceux qui ont joué des rôles marquants dans un passé récent, mais dont les noms n'ont pas encore pu réunir un consensus parmi nos compatriotes, en raison du climat passionnel qui divise actuellement. Alors pourquoi ne pouvons-nous pas nous mettre d'accord sur une liste où toutes les tendances sont représentées et qui comprendrait, outre les noms déjà cités, entre autres Ho Tong Lip, Sarin Chhak, Hang Tun Hak, Hou Youn, par exemple ? La liste sera longue, ce qui est normal pour un peuple comme le nôtre. Nous souhaitons qu'une commission ad hoc s'en occupe. Nous tenons à une telle liste consensuelle pour les raisons suivantes:
· Leurs noms que nous mêlons en dépit de leurs tendances politiques divergentes (ce qui est normal pour une nation), nous invitent à laisser provisoirement de côté les vaines querelles concernant la guerre fratricide de 1970-1975. D'une part, ils nous invitent à concentrer nos efforts pour lutter contre la RSV. D'autre part, à quoi nous sert, nous qui vivons à l'étranger de savoir qui a tort ou qui a raison ? Ne serait-il pas souhaitable de laisser à nos enfants le soin de le décider à Phnom Penh, une fois l'Indépendance et la Souveraineté nationale retrouvées ? Alors ils auront non seulement le temps, les moyens et la sérénité pour le faire, mais mieux encore ils auront la possibilité d'honorer dignement la mémoire de nos hommes illustres. Avoir une nation glorieuse à leur léguer ne représente-t-il pas le bonheur suprême de chacun d'entre nous ? Enfin où que nous soyons, nous nous trouvons dans un champ de bataille où l'ennemi guette nos moindres faiblesses, nos moindres contradictions. La dure réalité des faits nous impose de régler nos problèmes internes à l'amiable. L'ennemi ne se préoccupe pas de distinguer celui d'entre nous qui croyait, de celui qui ne croyait pas. Devant leur fusil, tous nos compatriotes sont égaux et indiscernables.
· Nous pensons que leur mémoire, à l'instar de celle du Général Khleang Moeung qui avait galvanisé l'esprit combatif de son armée, ne manquera pas de sonner la mobilisation générale de toutes les forces morales, intellectuelles et physiques de notre nation pour bouter l'ennemi hors de nos frontières.
· Honorer nos hommes illustres, incite nos compatriotes à agir pour mériter d'être inscrit sur cette liste, leur donner le courage de se battre et d'avoir une vie exemplaire voire de se conduire en héros, même si ces préoccupations ne leur sont pas explicitement perçues.
Raymond Aron écrivait: "La connaissance historique ne consiste pas à raconter ce qui s'est passé d'après des documents écrits qui ont été conservés par accident, mais sachant ce que nous voulons découvrir et quels sont les principaux aspects de toute collectivité, à nous mettre en quête des documents qui nous ouvriront l'accès au passé." Ainsi pouvons-nous écrire une histoire nationale d'une façon vivante plus proche de la réalité. Une histoire où nous sommes fiers de notre patrie, de notre passé glorieux légué par nos ancêtres au prix de leur sang et de leur labeur, de nos grandes figures. Nous avons la chance de naître dans une nation qui a bâti la grande civilisation angkorienne. Nous héritons d'une nation vivante, bien vivante puisqu'elle est en mesure de se battre depuis plus de 9 ans contre un ennemi aussi redoutable que redouté qu'est la fameuse armée de la RSV, prétendue être la 4ème du monde, et de la tenir en échec. Notre devoir est de léguer à nos enfants une nation indépendante et souveraine. C'est le bien le plus précieux pour nous et pour eux.
NATION
ET FORMATION
D'UN ETAT NATIONAL
AU CAMBODGE
La prise de conscience nationale est le prélude à la recherche des possibilités de trouver des compromis et de s'organiser pour défendre ensemble les intérêts légitimes minimaux de toutes les catégories et couches sociales d'un peuple contre les empiètements venus de l'extérieur. C'est, en d'autres termes, les aptitudes d'une communauté pour s'opposer à l'ennemi à trouver des compromis indispensables et acceptables pour tous et à se faire des concessions réciproques, qui font qu'une Nation peut se former. Ce n'est que lorsqu'une partie ou faction ou une formation clonale constate par expérience qu'elle ne peut vaincre l'ennemi seul qu'elle est contrainte à des concessions pour faire taire les divergences majeures au profit des aspirations communes. La nation française ne s'est elle pas formée que grâce à des compromis constants internes pour s'opposer à l'Angleterre et aussi à l'Espagne et à l'Autriche ? Ainsi en 1560 débutait en France les Guerres de Religions entre catholiques et protestants. Elles devaient tragiquement la déchirer pendant 35 ans. En 1589 mourait Henri III sans descendant. Les Habsbourgs, catholiques, règnaient sur l'Autriche et l'Espagne. Elles soutenaient un prétendant français catholique, pour étendre leur domination sur la France. Devant ce danger, les Henri de Navarre, protestant converti au catholicisme pour sauver les apparences, sous le nom de règne de Henri IV. Celui-ci signa l'Edit de Nantes en 1598, mettant fin à la guerre fratricide et unifiant le peuple français contre l'ennemi. Cet acte constituait une étape importante vers la formation de la Nation française.
Nous avons préféré une définition de la nation et de son Etat national dans le processus historique de leur formation. Elle correspond concrètement à la situation de notre pays. Il y a bien d'autres définitions, elles nous apparaissent trop abstraites, trop théoriques et ne conduisent nos compatriotes à une prise de conscience de leur appartenance à une même entité nationale avec ses contradictions internes normales pour une société en évolution. Toute approche théorique, même scientifique, est toujours sujette à révision, alors que les faits restent les faits. Dans les problèmes vitaux que la survie de notre nation, il importe de nous situer en considérant ces faits historiques. Le pragmatisme souvent décrié est aujourd'hui de règle, tous les dirigeants de ce monde, maintenant y reviennent.
A cet égard, on parle beaucoup de marxisme, de léninisme, de maoïsme etc. Personne ne s'avise de les définir avec un maximum de précision et on se jette l'anathème avec des vocables tels que "révisionnisme" ou "opportunisme" etc. Il y a bien eu Marx, Lénine, Mao comme il y eu Washington, Mutsuhito plus connu sous le nom posthume de Meiji-Tennô et tant d'autres. Marx ayant étudié la société de l'Europe occidentale de son époque, au milieu du XIXème siècle, a élaboré une vision socio-économique de l'évolution des nations. Il a été marqué par la Révolution Française de 1789, les bouleversements de l'époque napoléonienne et l'avènement de la grande industrie. Il a extrapolé trop hâtivement cette vision aussi bien pour le passé lointain que pour l'avenir de l'humanité. Maintenant toutes ces extrapolations ne correspondent pas à la réalité. Un autre exemple, témoin de la formation improvisée de l'administration de l'état de la communauté révolutionnaire de la Commune de Paris (18 mars-27 mai 1871), il a préconisé que les futurs Etats prolétaires devraient prendre cette forme. De nos jours, il n'existe aucun Etat du monde de ce type. Celui de l'URSS après plus de 70 ans d'existence n'est pas encore en passe d'évoluer dans ce sens. Mieux, on ne parle même plus de la Commune de Paris. D'autre part, la dialectique des opposées antagonistes irréductibles hégéliennes utilisée par Marx correspond-elle à la réalité en dehors de la guerre? La dialectique des opposés complémentaires asiatiques représentée par le ying et le yang avec son interprétation géométrique si évocative, n'en rend-elle pas mieux compte quand il est question de la formation des nations ou de la gestion des entreprises? N'explique-t-elle pas en partie la réussite de certains pays comme le Japon?
Lénine a le mérite d'organiser un parti qui lui a permis de prendre le pouvoir en Russie. Il a su habilement profiter des contradictions internes et externes, des circonstances historiques et aussi du sentiment national russe et l'immensité de son empire pour résister contre les interventions étrangères et pour asseoir solidement le pouvoir de son parti. Il a su également utiliser intelligemment au seul profit de l'URSS le fameux "internationalisme prolétarien".
Mao, tenant compte des spécificités de l'histoire et de la situation de la Chine après la Première Guerre Mondiale, ainsi que la conjoncture créée par l'agression japonaise, a su combiner la force de la paysannerie, révélée par la révolte des Taï-Ping et celle patriotique de la petite bourgeoisie et même de la grande bourgeoisie des villes pour prendre le pouvoir. Après une période ultra idéologique, la Chine revient à une conception plus pragmatique et plus réaliste pour le développement de son économie et de sa société, en se basant fondamentalement sur les critères nationaux.
L'étude des messages laissés par ces trois hommes n'est pas dénuée d'intérêt pour nous, cambodgien. Mais il importe de ne jamais perdre de vue que, pour nous, le problème fondamental qui prime tout est le problème national. Il nous invite à faire preuve de pragmatique, à l'aborder en dehors de toute préoccupation idéologique ou théorique, en nous basant principalement sur nos expériences propres et sur notre héritage historique. "L'internationalisme prolétarien" ou le "devoir internationaliste prolétarien" ne sont que des slogans utilisés pour défendre les intérêts de l'URSS et de ses proxys et pour cacher leur impérialisme. Pourquoi ne pas nous intéresser aussi aux messages de Washington, de de Gaulle, de Senghor, de Juan Carlos et de tant d'autres?
Dans le même esprit, certains de nos compatriotes et non des moindres, nous proposent de prendre pour modèle certains pays selon les circonstances et leurs convictions idéologiques, Suisse, Hongrie, Chine, France, USA, Singapour etc. La liste n'est pas exhaustive ni close. Il est permis de rêver quand on n'a aucune responsabilité. Mais quand on détient le pouvoir à quel titre qu'il soit, il est impérieux d'avoir les pieds sur terre et d'avoir toujours à l'esprit que la nation cambodgienne ne se construira que dans sa diversité enrichissante et selon son histoire et sa culture. Il n'y a pas de modèle tout fait ni dans la conquête du pouvoir, ni dans la manière de le conserver, ni dans son organisation, ni dans celle de la société qui la sous-tend. On ne peut copier sur personne en la matière. Chaque peuple se choisit une structure d'organisation de l'Etat qui le gouverne en fonction de son histoire et de la réalité sociale dans laquelle il vit. Méconnaître cette vérité c'est se condamner à être battu par l'ennemi.
Les sociétés égalitaires et communautaires aux quelles certains aspirent sont de dangereuses utopies. Les sociétés dites primitives, telles celles des minorités montagnardes du nord-est de notre pays, connues sous l'appellation de Khmers-leu sont de type tribal. Elles produisent juste ce qu'il faut pour subsister et de ce fait n'ont ni propriété privé ni monnaie. Certains les identifient au "communisme primitif". Elles se sont constituées de par la nature même des choses dans l'évolution de l'humanité. Une diversification accrue des tâches concomitante au développement technique, permet une production plus importante et excédentaire. La répartition de cet excédent devient rapidement le problème fondamental et source de conflits. depuis toutes les sociétés humaines tant soit peu évoluées sont inégalitaires et toutes les tentatives pour les rendre égalitaire sont échoué à cause de la contradiction insoluble et inhérente même à l'entreprise. En effet, pour obliger une société inégalitaire à devenir égalitaire, il faudrait une contrainte organisée qui privilègeriait arbitrairement les détenteurs du pouvoir au détriment des autres membres de la communauté. De ce fait, la société resterait donc inégalitaire avec des abus pires que ceux de la précédente. Les expériences dans le monde et celle douloureuse que nous venons de vivre sont là pour en témoigner.
En résumé, au Cambodge, la prise de conscience nationale a commencé à se concrétiser au moment de la formation du Parti Démocrate en 1946. Depuis l'indépendance, trois régimes se sont succédés et aucun n'a pu tenir durablement. La raison de ces échecs réside dans le fait qu'aucun d'eux n'avait préparé et pensé à organiser la communauté nationale pour affronter les visées expansionnistes à caractère stratégique de la RSV et de l'URSS sur notre pays. Aujourd'hui, après plus de 9 ans de combats, le peuple cambodgien avec l'aide et le soutien de la Thaïlande, de la Chine, et des USA, accule la RSV dans une situation de plus en plus difficile sur les plans militaire, économique, politique et diplomatique. De notre côté une évidence s'impose : aucune partie, aucun groupe d'intérêts, aucun clan, ne peut seul libérer la patrie. Saurions-nous trouver un compromis acceptable pour tous, valable et viable pour que la quasi totalité du peuple se sente motivée pour participer activement à la lutte, chacun selon ses possibilités et ses moyens? Les événements et les intérêts fondamentaux du peuple nous y obligent. Il n'y a pas d'autres issues possibles.
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